La voiture autonome et intelligente ne va pas sortir magiquement d’un chapeau. Elle va résulter de nombreuses innovations qui vont lui donner des « sens » pour voir, entendre et comprendre. Avec en lieu et place d’yeux, d’oreilles et cerveau, des composants électroniques. Nombreux sont les acteurs de la tech à se disputer des parts de ce marché en devenir, qu’il s’agisse d’Intel ou de Nvidia. Mais, d’autres acteurs, plus surprenants, sont aussi en lice. C’est le cas de Sony, avec son nouveau capteur d’image, qui répond au doux nom de IMX459.
Un composant d’un genre nouveau qui devrait faire énormément baisser le prix des Lidars automobiles, un pré-requis que l’on sait désormais nécessaire à démocratisation de la voiture du futur.
Faire d’un seul photon une information tangible
Dans nos colonnes, vous lisez souvent des actualités et tests autour de la photographie faisant référence à des capteurs « IMX », de Sony, ce qui est logique puisque l’électronicien nippon est le numéro 1 mondial des capteurs d’image.
Pourtant, s’il fait appel à quelques éléments de langage et technologies dont vous avez entendu parler, l’IMX459 est très différent des capteurs d’image CMOS qui équipent appareils photo et autres smartphones.
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Il ne s’agit pas d’un capteur qui tente de percevoir le monde à notre façon, mais d’un capteur de type SPAD : Single Photon Avalanche Diode (photodiodes avalanches réagissant à un seul photon). De type « Time of Flight », ce capteur est couplé à un émetteur de lumière laser.
En synchronisant l’émetteur de lumière laser et le capteur d’image, le système peut mesurer avec une grande précision la distance des objets en divisant par deux le temps de trajet des photons. Par rapport aux capteurs ToF de nos smartphones ou tablettes, l’IMX459 est d’une extrême complexité et d’une ultra haute sensibilité.
D’une part, le capteur comprends 100 000 photodiodes, quand les premiers Lidars n’en comprenaient qu’une seule. D’autre part, ces « pixels » sont de type SPAD, c’est-à-dire des photodiodes dont l’extrême état d’instabilité leur permet de réagir de manière fantastique. Le signal d’un seul photon issu du laser pulsé génère un signal un million de fois plus intense.
En clair : pas besoin d’envoyer un laser de grande intensité pour balayer le paysage. Cette grande densité de pixels (pour son domaine) et son extrême sensibilité permettent de diminuer la taille et la puissance du laser qui l’accompagne, ce qui fait baiser le coût du système.
0,1 Mpix : une super définition… dans le monde des Lidars !
L’IMX 459 est un capteur de 579 x 168 pixels, soit environ 0,1 Mpix. Une définition trop faible pour vos photos de vacances, mais suffisante pour l’application cible. Mieux, cette faible définition est nécessaire à son bon fonctionnement, car puisqu’il va participer à la sécurité des véhicules, il doit aller vite.
Du point de vue physique, il va déjà très vite, puisque chacune de ses photodiodes – qui fonctionnent de manière autonome les unes par rapport aux autres – ont un temps de réaction de 6 nanosecondes (6 milliardièmes de seconde, donc oui, vraiment très vite).
Mais ce signal doit être ensuite traité et interprété.
« La définition actuelle est largement suffisante pour détecter les obstacles et leur vitesse, et le volume de données est calibré pour ne pas saturer les processeurs en informations inutiles », nous explique Robert Kalman, en charge des équipes de vente et marketing de Sony pour les marchés auto en Europe.
On est ici dans le milieu de l’automobile et pas celui de l’esbroufe à la fréquence processeur.
« Nous n’avons pas besoin de construire une image complète de la scène, mais des points dans cette scène. Ce qui est critique, ce sont ses angles de vision et sa précision à longue distance : nous avons besoin de 120° de couverture angulaire horizontale, de 90° de couverture verticale et d’une précision de 10-15 cm à 200 m », détaille-t-il.
Finalement, si cette définition de 0,1 Mpix est faible dans le monde du capteur d’image, elle est record dans le monde des Lidar SPAD. A titre de comparaison, le capteur ToF de l’iPad Pro ne dispose que de 10 000 pixels efficaces seulement jusqu’à 3 ou 4 m. Ici, c’est dix fois la définition et cinquante fois la distance.
La sécurité au-dessus de tout
Cette maîtrise du marché cible et des contraintes de l’univers très sérieux de l’automobile se ressent aussi dans le procédé de fabrication. A l’heure où Apple et les autres se battent pour produire leurs puces en 5 nm – TSMC prépare déjà le 3 nm pour l’an prochain – ce capteur de pointe est produit en… 40 nm.
« Nous ne sommes pas dans le marché des smartphones où les pannes sont tolérées, où on échange un produit défectueux contre un autre en quelques heures, et où il est OK de changer d’appareil au bout de deux-trois ans. Quand vous achetez une voiture, les semi-conducteurs à l’intérieur doivent toujours fonctionner parfaitement 15 ans après l’achat – et la panne (qui peut conduire à la mort, ndr) n’est pas tolérable. Voilà pourquoi nos standards très élevés, comme les normes de tests de température de fonctionnement, nous empêche d’utiliser les procédés de production de pointe tant qu’ils n’ont pas été totalement qualifiés », détaille Robert Kalman.
Et quand on parle de norme, Robert Kalman fait ici notamment référence à la l’ISO 26262, qui régit les composants électroniques dans les voitures et où les puces doivent, notamment, encaisser des écarts de température importants.
« On qualifie le capteur pour encaisser des températures de pointe à 150°C, plus de 1 000h de fonctionnement à 120°C, le tout avec zéro marge d’erreur. Le capteur de type automobile doit fonctionner de la même façon dans 15 ans », promet Robert Kalman.
Les 100 millions de pixels et autres gravures en 3 nm sont donc bien loin des préoccupations de sécurité et de fiabilité qu’exige le monde automobile.
Sony capitalise sur ses technologies grand-public
Sur le papier, les différents capteurs récemment annoncés par Sony montrent la domination du japonais dans ce segment, qu’il s’agisse de capteur d’image, de capteur de temps de vol, (SPAD ou autre), ou encore de capteur EVS.
Une domination qui tient dans sa capacité à industrialiser les procédés. Pour aller très vite dans sa lecture des informations, l’IMX 459 est conçu sur le modèle des capteurs dits « empilés » (stacked sensors), où de la mémoire est intégrée directement au dos du capteur.
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Un procédé, appelé Exmor RS dans le jargon des capteurs grand public, que l’on a d’abord vu sur des capteurs de smartphones. C’est à partir de 2012 que Sony a commencé à expérimenter cette technologie sur ces capteurs plus petits et offrant donc un bon potentiel de test (les rendements de production étant meilleurs sur les petits capteurs que sur les grands).
Puis, une fois le procédé maîtrisé dans le monde des smartphones, Sony l’a déployé sur son capteur 1 pouce, que l’on a retrouvé dans ses compacts expert dès le RX100 Mark IV. Pour ensuite monter en taille jusqu’au capteur plein format de l’Alpha A9/A9 Mark II, son appareil photo hybride à capteur 24×36.
Finalement, une fois la méthode de production validée par plusieurs années de présence dans des produits grand public, Sony l’intègre aujourd’hui dans un produit « pro » comme cet IMX 459.
Même son de cloche pour la technologie de production des circuits, des liaisons cuivre-cuivre (Cu-Cu), qui a d’abord été validée dans des produits plus grand public.
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Cette maîtrise de l’industrialisation de procédés de pointe est sans aucun doute ce qui donne un des autres avantages technologiques de ce capteur : son efficacité à détecter les photons du rayonnement laser émis.
Alors que le monde des SPAD a débuté avec des Lidar récupérant seulement 1% des photons et plafonne aujourd’hui à 18% de photons détectés, l’IMX 459 est 30% plus performant avec 24% de photons détectés. Le tout avec une définition record, un encombrement minimal,… et un prix jamais vu.
Des systèmes Lidar à seulement 500 dollars ?
« Les premiers Lidars coûtaient aux alentours de 75 000 dollars soit le prix d’une voiture de luxe, ce qui les rendaient hors d’atteinte », raconte R. Kalman.
Avec son IMX 459, Sony promet des dispositifs incroyablement moins onéreux.
« Si nous allons commercialiser un kit Lidar complet pour l’évaluation de nos technologies par nos partenaires, nous n’allons pas construire de Lidar. Nous allons simplement fournir les capteurs et les outils logiciels, et à charge de nos partenaires de choisir leur laser, leur mécanisme de miroirs, les optiques, etc. Mais selon nos évaluations, processeurs fPGA et DSP à part (en charge de traiter les données, ndr), nous estimons que nos capteurs vont permettre le développement de Lidars oscillant entrer 500 et 2 000 dollars selon les technologies intégrées autour », promet Robert Kalman.
Un tarif qui pourrait être synonyme de déploiement de masse. Alors que les Lidars actuels ne se retrouvent que sur du très haut de gamme, comme des Audi R8, un surcoût de 500 à 2 000 dollars sonne bien plus près d’une option que l’on peut choisir d’acheter pour profiter de fonctions de sécurité et d’intelligence supérieures.
Pour vérifier les promesses de Sony, il faudra cependant attendre au moins 2023.
« La production de masse de l’IMX 459 débutera à l’automne 2022, car nous sommes toujours en train de qualifier les résistances du capteur. »
Un temps que les technophiles pourraient trouver long, « mais c’est le prix de la qualité et de la sécurité », martèle Robert Kalman. Vu la criticité des futurs yeux de nos voitures, on appréciera ce temps long. Si le temps est de l’argent, la sécurité, elle, n’a pas de prix.