Ce sont les portes d’entrée de nombreux citoyens américains sur Internet. La plate-forme de vidéos YouTube, les moteurs de recherche Google et Bing accordent une large place à la propagande des médias officiels chinois, notamment sur le Covid-19 ou sur la minorité ouïgoure persécutée par Pékin, démontre une étude du think tank américain Brookings parue fin mai. Les vidéos et les articles des médias officiels chinois apparaissent ainsi fréquemment parmi les premiers résultats de recherche des trois plates-formes.
Durant trois mois, les chercheurs de Brookings ont décortiqué les réponses des moteurs de YouTube, Google et Bing à une douzaine de mots-clés. Ce sont les termes faisant référence à des théories conspirationnistes qui ont fait apparaître le plus grand nombre de contenus suspects parmi les dix premiers résultats de recherches. Dans la moitié des cas, « Fort Detrick », par exemple, faisait apparaître des contenus de médias officiels chinois, accusant ce laboratoire de recherche militaire américain d’être la source du Covid-19, sans en apporter la preuve.
En France aussi, Le Monde a pu constater sur YouTube que cette recherche faisait apparaître des vidéos troubles, en langue française, publiées par CGTN, une chaîne de télévision contrôlée par Pékin, et destinée à un public international. Ces contenus occupaient même les trois premières places de cette recherche.
Selon les chercheurs américains, certains mots-clés plus neutres, comme « Xinjiang », la région où se concentre la minorité ouïgoure persécutée, faisaient apparaître moins d’articles et vidéos de médias chinois – suffisamment toutefois pour qu’on en trouve, la plupart du temps, au moins un parmi les dix premiers résultats. La prévalence de ces contenus suspects était moins grande sur Google et Bing que sur Google News et Bing News, les agrégateurs d’actualité de ces mêmes entreprises, ou que sur YouTube.
Des contenus produits à fréquence élevée
En France, Le Monde a constaté qu’une vidéo de CGTN intitulée « Ce que je vois au Xinjiang est totalement différent de ce que j’entends » apparaissait en troisième position de YouTube lorsqu’on tapait le mot-clé « Xinjiang ». Un contenu susceptible d’influencer au moins deux types de public : les personnes qui n’accordent pas d’attention aux sources qu’elles consultent, et celles qui font peu confiance aux médias français.
Selon les chercheurs américains, ce positionnement très haut dans les moteurs de recherche s’explique par la fréquence très élevée à laquelle ces contenus sont produits par les médias chinois. Google et Microsoft, l’éditeur de Bing, accordent plus de place aux contenus les plus frais. Alphabet, la maison mère de Google et YouTube, s’est justifiée dans les colonnes du Washington Post, assurant « travailler à combattre les opérations d’influence et de censure, tout en protégeant l’accès aux informations et à la liberté d’expression ».
Les chercheurs de Brookings suggèrent aux plates-formes plusieurs solutions pour contrer le problème. Entre autres, alerter les usagers quand la qualité d’un contenu est suspecte, ou étiqueter de façon plus claire les agences d’information gouvernementales. Ces dernières ne sont toutefois pas les seuls canaux de la désinformation chinoise. Comme le souligne l’étude, les contenus sont relayés par des médias implantés dans d’autres pays, tels l’Helsinki Times, ou l’Indian Express.
Désinformation coordonnée
Pékin récolte ici le fruit d’une stratégie dont les jalons ont été posés il y a bien des années, avec la constitution d’un réseau de médias étrangers affiliés, le Belt and Road News Network, et avec la formation de milliers de journalistes étrangers sur son territoire. « Il faut créer un nouvel ordre mondial des médias, sinon la place sera prise par d’autres, ce qui posera un défi à notre rôle dominant dans la conduite de l’opinion publique », expliquait, dès 2013, Li Congjun, ancien responsable de l’agence officielle Xinhua et membre du comité central du Parti communiste chinois (PCC).
Un document interne à la direction du PCC, connu sous le nom de « document n° 9 », attribué à Xi Jinping lui-même, mettait en garde contre plusieurs dangers, dont « l’idée occidentale du journalisme qui défie le principe chinois selon lequel les médias et l’édition doivent être soumis à la discipline du Parti ».
Dans cette vaste opération de contrôle de l’information, l’action des médias affiliés est coordonnée à celle d’autres relais – fermes de contenus opérant sur les réseaux sociaux, maisons d’édition, think tanks, influenceurs et universitaires sympathisants – qui martèlent les messages façonnés par Pékin. Dans certains pays comme Taïwan, un bureau local dirige même ces opérations de guerre psychologique.
Des méthodes très inspirées par celles de la Russie, pays ami avec lequel certaines opérations de désinformation sont coordonnées. L’efficacité de ces opérations conjointes pourrait cependant avoir chuté à la suite de la guerre en Ukraine, la Russie s’étant vue privée d’une branche de sa force de désinformation, avec l’interdiction en Europe de plusieurs médias officiels, tels RT et Sputnik.