une imitation réussie mais qui peine à se doter d’une vie propre

une imitation réussie mais qui peine à se doter d’une vie propre


Ce n’est pas le célèbre dessin animé Disney de 1940, avec ses ritournelles et ses couleurs gaies, qui constitue le point de départ de Lies of P (disponible mardi 19 septembre sur PlayStation, Xbox, PC et Mac), mais plutôt le roman de Carlo Collodi, écrit en 1881. « Lorsque je me suis plongé dans Les Aventures de Pinocchio, il m’est paru clair qu’il y avait tous les éléments que je cherchais », explique au Monde Jiwon Choi, le réalisateur coréen de ce jeu vidéo brutal et dérangeant. « Le conte original tire des fils de comédie noire pour tisser une toile sombre et gore. Ses personnages peuvent trouver un écho auprès d’un large public, tandis que son cadre possède une ironie mordante aujourd’hui. »

Si le jeu vidéo a l’habitude de puiser dans les histoires pour enfants, il le fait rarement à la lettre, préférant transposer leur étrangeté dans des fantaisies à la cruauté déchaînée. Certains contes ont ainsi été revisités dans les jeux cauchemardesques que le réalisateur American McGee a consacrés à Alice au pays des merveilles ou encore aux frères Grimm. Ailleurs, la fiction enfantine se retrouve au service d’allégories sordides, comme dans Limbo et Inside, du studio danois Playdead.

Lies of P s’inscrit dans cette filiation macabre en étant à la fois une relecture pervertie du roman d’origine et une fable dystopique située dans un monde en proie à des marionnettes détraquées.

Le combat emprunte des idées aux ténors du genre : l’attaque guérissante de « Bloodborne », le système de posture de « Sekiro », ou encore les coups spéciaux de « Dark Souls III ».

Le règne des marionnettes

L’histoire du pantin Pinocchio qui rêve de devenir un véritable enfant est avant tout un récit d’apprentissage. La question de l’apprentissage dans la douleur est justement au cœur de l’œuvre d’un autre studio, japonais lui : FromSoftware. Dans ses jeux, de la trilogie Dark Souls à Elden Ring, le joueur se fraie ainsi un chemin dans des environnements hostiles, affrontant des montagnes d’adversité qui l’obligent à se dépasser. Très logiquement, cette formule implacable est ici reprise à l’identique.

Nous avançons donc à pas de loup, des boulevards bourgeois de la ville de Krat jusqu’à ses faubourgs sinistres, en visitant les cimes et les tréfonds de cette cité jadis rutilante. L’ombre de la série BioShock et de ses utopies renversées n’est pas loin, mais Round8 s’est surtout inspiré de la Belle Epoque : « Une période florissante, située juste avant la première guerre mondiale et caractérisée par l’expérimentation, la diversité, l’innovation, la culture et les arts », justifie Jiwon Choi. La splendeur de Krat, célébrée pour ses automates prodigieux, préfigura aussi sa chute.

Désormais, les marionnettes sont tueuses et promènent leur atroce cliquetis parmi des ruelles désertes, tandis qu’une mystérieuse épidémie de pétrification décime la population.

Dans ce carnaval démoniaque resurgissent quelques souvenirs déformés des Aventures de Pinocchio : une « fée » bienveillante aux cheveux bleus, des masques d’animaux portés par des gangs de charognards, un arbre légendaire sur lequel poussent des pièces d’or, ainsi que plusieurs créatures formidables déclinées en autant de boss coriaces.

Le cœur du jeu se situe dans les combats nerveux et protéiformes qui ponctuent la progression de notre avatar. D’une efficacité incontestable, ces affrontements reprennent en les synthétisant un ensemble de règles ayant fait la renommée des jeux « à la Dark Souls », rehaussées par quelques innovations bienvenues. Souvent exigeant, Lies of P tire de cette accumulation une souplesse qui le rend un peu plus abordable que ses impitoyables prédécesseurs.

Parmi les innovations, la possibilité de réassembler ses armes à sa guise en associant lames et manches est particulièrement redoutable.

Le pantin qui rêvait

Si le marché coréen du jeu vidéo est surtout marqué par l’e-sport, le jeu mobile et le jeu de rôle en ligne, on voit depuis quelques années fleurir dans la péninsule des titres inspirés de la trilogie de FromSoftware, dont Jiwon Choi vante le « sens de l’exaltation et du dépassement ».

Le Monde

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Cette admiration sincère représente pourtant la limite de Lies of P, tant le jeu peine à s’extraire du canevas de ses modèles et construit toute sa démarche sur des codes repris tels quels.

Avec sa science du genre et son cachet esthétique indéniables, Lies of P est une imitation réussie, à l’image de son protagoniste fantoche qui parvient à se faire passer pour un véritable humain en mentant régulièrement. Mais l’imitation est aussi une forme d’académisme, dans la mesure où elle ne fait que suivre un programme établi. Ainsi, la comparaison s’impose toujours en faveur de l’exceptionnelle qualité des archétypes : l’âme des Souls originaux plutôt que celle, trop sage, de la marionnette qui rêvait d’être un véritable enfant.

L’avis de Pixels en bref

On a aimé :

  • une relecture cauchemardesque et sophistiquée du conte de Pinocchio ;
  • un système de combat aux possibilités riches et enthousiasmantes.

On n’a pas aimé :

  • un décalque des jeux FromSoftware qui n’en atteint jamais les sommets ;
  • des combats de boss en deux phases souvent rébarbatifs.

C’est plutôt pour vous si…

  • vous attendez désespérément l’annonce par FromSoftware de Bloodborne 2.

Ce n’est plutôt pas pour vous si…

  • les jeux d’action punitifs vous rendent malade ;
  • vous avez la phobie des poupées, des clowns et des automates.

La note de Pixels :

7 ficelles sur 10 guignols



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