Le 26 janvier, 2,3 millions de fonctionnaires – en poste ou non – ont reçu un e-mail de Stanislas Guérini. Le ministre de la fonction publique y vantait les bénéfices de la très controversée réforme des retraites, alors en pleine discussion à l’Assemblée nationale.
Nombre d’entre eux ont été surpris, voire choqués, par ce message qu’ils n’avaient pas sollicité. « Déni de démocratie, propagande mensongère, détournement de fichiers », s’était notamment ému la cosecrétaire générale de l’Union fédérale des syndicats de l’Etat de la CGT, Céline Verzeletti.
Plus de 1 500 fonctionnaires avaient alors saisi la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Le gendarme des données personnelles a décidé lors d’une délibération, le 9 novembre, repérée par le site eWatchers, de rappeler à l’ordre les ministères de la transformation et de la fonction publiques ainsi que celui de l’économie, dirigé par Bruno Le Maire.
Le message contenait, précise la CNIL, « un lien vers une vidéo d’une durée de 6 minutes et 36 secondes intitulée “Réforme des retraites : Message de Stanislas Guerini aux agents de la fonction publique” dans laquelle le ministre de la transformation et de la fonction publiques s’exprimait ». Après enquête, l’autorité administrative a déterminé que le message avait été envoyé, pour le compte du ministère de la fonction publique, à tous les « agents inscrits dans l’espace numérique sécurisé de l’agent public (Ensap) » par le ministère de l’économie, dont l’une des directions gère cet outil permettant notamment de retrouver ses bulletins de paie.
Une base de données qui ne permettait pas les messages politiques
La CNIL s’est penchée sur le décret ayant créé cet espace numérique et n’y a trouvé nulle autorisation de l’utiliser pour transmettre des messages de nature politique. Les ministères ont bien tenté de convaincre le gendarme des données que le message « n’avait pas vocation à promouvoir le projet de réforme, mais bien à informer, en tant qu’employeur, les agents publics sur les axes spécifiques les concernant et l’impact très concret pouvant en résulter pour eux ».
L’argument n’a pas convaincu la CNIL, qui note ainsi qu’était joint au message de Stanislas Guérini un document PowerPoint intitulé « Pour nos retraites : un projet de justice, d’équilibre et de progrès », et que le message du ministre allait bien au-delà d’une simple information factuelle et défendait les mérites de la réforme gouvernementale.
Le fait d’utiliser une base de données personnelles pour une raison qui n’est pas prévue par son décret étant une infraction au droit européen sur les données personnelles, la CNIL a décidé de sanctionner les deux ministères. La loi ne permettant pas à une autorité administrative d’imposer une amende à l’Etat, ce qui reviendrait à prononcer une amende contre soi-même, le gendarme des données a décidé d’un rappel à l’ordre public.