Selon un rapport publié ce mercredi 17 janvier par la Fondation des Femmes, les anti-avortements ont investi avec succès YouTube, Facebook et Instagram. Deux chercheuses, qui ont cherché à savoir à quoi étaient exposées les utilisatrices vivant en France et en âge d’avoir des enfants, ont constaté que les contenus dissuasifs, trompeurs et erronés sur l’IVG étaient fréquemment relayés. De quoi constituer un véritable problème, les réseaux sociaux étant devenus le lieu où les adolescents et les jeunes adultes s’informent.
Alors qu’Emmanuel Macron évoquait il y a quelques heures une possible future « génération des complotistes », en raison des fausses informations qui pullulent sur les réseaux sociaux, un rapport publié par la Fondation des femmes, réalisé par l’Institute for Strategic Dialogue (ISD), tire la sonnette d’alarme au sujet de l’IVG. Le document, diffusé ce mercredi 17 janvier, pose une question simple : les femmes en âge d’avoir un enfant ont-elles encore accès à des informations fiables sur l’interruption de grossesse, huit ans après la loi qui pénalise la désinformation en la matière, et 49 ans après la loi Veil ?
Aujourd’hui, la réponse devrait être positive. Il existe pléthore de sites officiels et d’associations à ce sujet, facilement accessibles via la recherche Google. Le droit à l’IVG semble sur le point d’être inscrit dans la Constitution, les députés de la commission des lois venant ce mercredi 17 janvier d’approuver la mesure. Pourtant, sur les réseaux sociaux, « les contenus de mésinformation, choquants et dissuasifs » sont fréquemment diffusés aux internautes, dénonce ce rapport. Ces messages propageraient des informations erronées, voire dangereuses, sur l’interruption volontaire de grossesse, avec pour objectif de « décourager les utilisateurs de recourir à l’avortement, et de semer le doute sur la sécurité des traitements médicaux utilisés lors d’un avortement ». De quoi constituer un véritable problème, les réseaux sociaux étant désormais le lieu où les jeunes adultes et les adolescents cherchent des informations.
Les contenus liés à l’IVG étudiés sur 4 plateformes
Pour arriver à cette conclusion, deux chercheuses de l’ISD, un think tank spécialisé dans la désinformation et les mouvements extrémistes, ont cherché à savoir ce que les utilisatrices vivant en France, et en âge de procréer, voyaient sur les fils d’actualité, lorsqu’elles recherchent des renseignements sur l’IVG. Seuls Facebook, Instagram, YouTube et X ont été étudiés.
Pour ce faire, les chercheuses ont commencé par créer de faux profils d’utilisatrices, notamment sur YouTube et Instagram. Elles ont ensuite analysé ce que l’algorithme des plateformes proposait et mettait en avant. Sur YouTube, les deux expertes ont constaté que de nombreuses vidéos anti-avortement, de mésinformation, choquantes et dissuasives étaient proposées. Sur le compte d’une utilisatrice mineure (fictive), dont le profil n’avait jamais visionné de vidéos anti-IVG, « plus d’un tiers des vidéos recommandées comportaient un contenu dissuasif et des témoignages personnels décrivant les conséquences négatives d’un avortement », écrivent les auteurs du rapport.
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Or, ces vidéos auraient dû être présentées avec un panneau d’information. Après le revirement de la Cour suprême aux États-Unis qui a mis fin à la protection constitutionnelle du droit à l’avortement, YouTube s’était engagé à mettre en place un tel système pour « toute vidéo portant sur l’avortement, l’objectif étant d’orienter les internautes vers les sites d’institutions médicales officielles pertinentes pour le pays ». Ce qui est loin d’être systématiquement le cas, constatent les chercheuses.
Des contenus faisant la promotion d’une méthode contre l’IVG nocive
Sur Instagram, même topo. « Les algorithmes (…) ont recommandé des “Reels” (des vidéos courtes, ndlr) comportant des informations erronées sur l’avortement, à des utilisateurs n’ayant visionné aucun contenu anti-avortement. Un cinquième des Reels les plus recommandés à propos de l’avortement contenait des informations trompeuses sur la procédure ». Dans de nombreuses publications, le think tank a retrouvé le même texte, copié-collé un très grand nombre de fois, qui pourrait avoir été démultiplié via un système automatique.
Parmi les messages problématiques, on trouve des « témoignages » de mauvaises expériences, impossibles à vérifier, destinés à convaincre les utilisatrices de renoncer à avorter, ainsi que des contenus choquants et émotionnellement éprouvants – comme ceux qui associent l’avortement à un meurtre, ou ceux « rédigés à la première personne, par un bébé imaginaire ». D’autres messages sont présentés comme neutres – alors qu’ils proviennent d’organisation anti-IVG. Certains sont trompeurs, voire dangereux. On retrouve notamment des contenus expliquant que « les femmes qui subissent un avortement médical peuvent en inverser les effets en prenant une pilule de progestérone ». Il s’agit « d’une méthode non prouvée scientifiquement et nocive », rappellent les expertes.
Des comptes d’extrême droite au sein des diffuseurs
Selon les chercheuses, le noyau dur de ces diffuseurs, dont certains investissent dans la publicité sur ces plateformes, est constitué de comptes anti-avortement, de comptes d’extrême droite et des comptes hostiles à la GPA – dont certains sont affiliés à La Manif Pour Tous. « Des pages et groupes Facebook (non officiels) de soutien au parti Reconquête ! d’Éric Zemmour ont (également) joué un rôle clé dans la diffusion de contenus anti-avortement », est-il précisé. Les comptes liés à la mouvance chrétienne/catholique et royalistes ne graviteraient qu’en périphérie de ce réseau. Certains d’entre eux sont liés à « la mouvance tradwife », un mouvement américain promouvant un rôle de la femme exclusivement limité aux affaires domestiques et à la maternité.
Pour améliorer la situation, les chercheuses émettent une série de recommandations, à destination des plateformes et des régulateurs. Pour ces derniers, l’institut préconise de davantage diffuser « d’informations fiables sur l’avortement, notamment en augmentant le financement public d’organisations dédiées au partage d’informations fiables ». Côté plateformes, les expertes estiment qu’elles doivent véritablement lutter contre la mésinformation (l’information erronée) relative à l’IVG, car « l’absence d’informations exactes peut être préjudiciable aux personnes souhaitant accéder à l’avortement ». Pour ces dernières, Meta et YouTube « doivent renforcer leur politique contre la représentation choquante de l’avortement, en s’attaquant aux descriptions exagérées et inexactes de l’avortement pouvant inutilement susciter la peur chez les utilisateurs, et encourager des atteintes à l’encontre du personnel médical ».
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Les publicités comparant l’IVG à un assassinat doivent par exemple faire l’objet d’analyse de la part de chaque réseau social, plaide l’ISD. De même, tous les contenus qui présentent la procédure dite « abortion pill reversal » (prise de progestérone) comme étant sûre et efficace devraient être interdits. Les chercheuses recommandent surtout aux réseaux sociaux d’embaucher davantage de modérateurs à même d’identifier les messages de mésinformation. Elles préconisent aussi que les plateformes se coordonnent davantage entre elles, dans la lutte contre la circulation de fausses informations. « Seul YouTube dispose (par exemple) de règles claires pour lutter contre certains types de fausses informations sur l’avortement ». Et même dans un tel cas, ces règles sont loin d’être systématiquement appliquées.
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Source :
Rapport publié par la Fondation des femmes, réalisé par l’Institute for Strategic Dialogue (ISD)