Il est loin le temps où le Japonais Osamu Tezuka, pourtant vedette dans son pays, arpentait dans une quasi-indifférence, béret vissé sur la tête, les allées du Festival international de la bande dessinée (FIBD) d’Angoulême. C’était en 1982. Aujourd’hui, le manga occupe dans la ville charentaise le haut de l’affiche, se célèbre dans un grand pavillon qui lui est entièrement dédié, et l’organisation accueille avec tous les égards la dessinatrice star Moto Hagio, ainsi que ses comparses Hiroaki Samura et Shin’Ichi Sakamoto.
« Découvert un peu par hasard » par les pionniers du FIBD, le manga est désormais « une attraction majeure du festival », reconnaît Benoît Peeters, scénariste et théoricien de la BD. Comme si, enfin, Angoulême se mettait depuis quelques années au diapason du marché de la BD français, porté en grande partie par des séries japonaises.
Une mise à l’honneur « bien en retard », que salue tout de même Mathieu Bablet, 37 ans, auteur de Shangri-La et Carbone et Silicium. « On ne compte plus les artistes européens qui ont digéré l’influence et dont le travail est largement plébiscité par le public », affirme-t-il.
Reconnaissance tardive
Au début des années 2000, le festival, né en 1974, récompense pour la première fois un auteur japonais : Jiro Taniguchi (Prix du scénario en 2003 pour Quartier lointain, Prix du dessin en 2005 pour Le Sommet des dieux). Mais la reconnaissance par ses pairs franco-belges, dont certains ne cachaient pas leur indifférence voire leur mépris pour le reste de la production japonaise, a longtemps fait figure d’exception. Un fait en partie dû à l’admiration de Jiro Taniguchi pour les auteurs européens.
C’est seulement en 2015 que le premier Japonais se voit distinguer du plus grand honneur et décerner le Grand Prix : Katsuhiro Otomo, créateur d’Akira. Son indiscutable génie en matière de science-fiction a servi de « trait d’union » entre les auteurs de différentes générations et de passerelle entre le monde du manga et de la BD européenne, selon Benoît Peeters.
« La consécration d’Otomo vient réparer, “rectifier” un palmarès qui a oublié de sacrer, du temps de son vivant, Osamu Tezuka (Astro Boy), le “Dieu du manga”, et qui s’est contenté d’offrir à Akira Toriyama (Dragon Ball) un insipide lot de consolation en 2013 (baptisé “prix du 40e anniversaire” », écrit Le Monde cette année-là. En 2019 vient le tour d’une femme, sa compatriote Rumiko Takahashi, d’être lauréate.
Mais cette « réparation » n’est pas entièrement le fait du festival : elle est avant tout l’œuvre du lobbying et du vote de plusieurs centaines d’auteurs et autrices de BD, dont nombre revendiquent l’influence du manga dans leur culture BD et leurs travaux. Des générations aux multiples influences, venues au manga par les dessins animés qui ont été diffusés à la télévision à partir des années 1980.
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