« Créer l’économie de demain pour la planète et pour ses habitants » : fin 2021, lorsque la start-up française Cardashift voit le jour, son site Internet annonce de grandes ambitions. La société projette de « débuguer le monde avec la blockchain » et se définit comme un « launchpad [plate-forme de financement] pour soutenir le développement durable ».
Elle se positionne ainsi comme l’une des quelque mille entreprises innovantes dites « à impact » en France, c’est-à-dire ayant un objectif non seulement économique, mais aussi sociétal ou environnemental.
Mais « impact » et cryptoactifs ne font pas toujours bon ménage. De multiples éléments recueillis par Le Monde laissent penser que, malgré une mission vertueuse, l’entreprise n’a manifestement pas échappé à certaines des pratiques les plus douteuses du monde du « Web 3 » : soupçons de manipulations de cours, de pratiques commerciales déloyales et problèmes de transparence en tête.
L’entreprise assure au Monde n’avoir commis aucune infraction, et se dit victime d’une opération de dénigrement de la part d’un ancien partenaire mécontent.
Une levée de fonds nébuleuse
La jeune start-up avait pourtant enchaîné les réussites d’entrée de jeu. Trois mois après sa création, elle lance une Initial Coin Offering (ICO), une levée de fonds en cryptoactifs, qui permet aux investisseurs intéressés d’acheter des jetons $Clap. Edités par l’entreprise, ces derniers leur confèrent des droits de vote pour choisir quels projets la société soutiendra.
Cardashift annonce avoir collecté 10 millions de dollars (9,20 millions d’euros environ) en quelques jours, auprès d’investisseurs privés, mais aussi d’un important fonds d’investissement américain, ce qui la place parmi les plus importantes ICO réalisées en France ces dernières années. En parallèle, la société recrute des ambassadeurs ou conseillers prestigieux, dont d’anciens cadres de l’Unicef ou d’Apple.
Cette levée de fonds à succès n’est toutefois pas sans poser question. D’abord, sur la publicité orchestrée autour du projet : Cardashift a investi dans une importante campagne (pour plus de 160 000 euros), notamment par le biais d’influenceurs sur TikTok. Le Monde a pu constater que ces vidéos, publiées début 2022, n’annonçaient pas leur caractère publicitaire, comme le demandait pourtant déjà la loi à l’époque.
Mais c’est surtout le montant annoncé qui interroge. Le jour de la vente publique, l’entreprise assure avoir dépassé son plafond de vente, l’opération ayant été sursouscrite à 108 %. Dans le détail pourtant, difficile de s’y retrouver : le communiqué officiel affiche en titre 10 millions de dollars, mais le total des chiffres contenus dans le texte aboutit seulement à 7,5 millions. Les comptes sociaux de l’entreprise mentionnent, eux, une levée de fonds de 5 millions d’euros. Enfin, l’examen des transactions dans la blockchain du projet montre que vingt millions de jetons $Clap – sur un total d’un milliard – n’ont pas été distribués, suggérant que la vente n’était, en réalité, pas totale.
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