« On met des vêtements sur les femmes dépravées pour le fun, rejoignez-nous. » Depuis janvier, des internautes prennent un malin plaisir à modifier, grâce à l’intelligence artificielle (IA), des photos de femmes qu’ils jugent inconvenantes, avec la mention « DignifAI » (« rendre son honneur », en anglais). Elle porte un décolleté plongeant ? On lui ajoute un pull. Elle pose en minishort ? On la recouvre d’une robe longue. Les modifications ne concernent pas que les vêtements : les tatouages sont retirés, les coiffures exubérantes remplacées par de longs cheveux soyeux, le verre de bière troqué contre un bouquet de fleurs. Parfois, on ajoute même à leur côté un enfant ou un homme. DignifAI dérive aussi vers le racisme, quand une photo de femme blanche posant avec son enfant métis est modifiée pour qu’il devienne blanc.
Sur le réseau social X, le compte DignifAI, créé fin janvier, rassemble plus de 62 000 abonnés. Il publie des photos avant et après, et les internautes lui font des requêtes : « Frère, peux-tu amincir celle-là et transformer le N en blanc ? » (« N » pour « nègre »). La photo semble être une capture d’écran de l’application de rencontre Tinder. Des femmes inconnues du grand public, tout comme des stars internationales et d’innombrables influenceuses sont visées – il arrive aussi parfois qu’il s’agisse d’hommes.
L’idée est née sur 4chan, un forum anonyme parmi les plus populaires – et les moins modérés – du Web. « Nous allons leur montrer la vie qu’elles n’auront jamais. Nous les forcerons à contempler l’image de la vraie beauté, que nous avons rétablie à partir de leurs visages dépravés. Nous ramènerons la décence dans ce monde », peut-on lire dans un message anonyme. DignifAI s’est ensuite répandu sur d’autres espaces, comme X, et un site Internet créé spécialement fournit un mode d’emploi pour trafiquer par IA les images de son choix.
L’initiative aurait pu, comme tant d’autres, rester cantonnée aux tréfonds du Web. Mais en la partageant plusieurs fois avec ses plus de 2,4 millions d’abonnés sur X, le militant américain d’extrême droite Jack Posobiec lui a donné de la visibilité. Tout comme le masculiniste malaisien Ian Miles Cheong, figure de l’alt-right américaine, suivi par plus de 930 000 personnes. « L’IA imagine ce qui se serait passé si ces femmes avaient été élevées par des pères forts », écrit-il sur le réseau social.
« Le but, c’était de troller »
L’image qui accompagne son post montre Isla David, une travailleuse du sexe basée au Canada, rhabillée et flanquée de trois enfants. Dans une interview au magazine Rolling Stone, elle confie avoir l’habitude de voir des internautes manipuler des photos d’elle, en général pour la déshabiller, et estime que les deux démarches relèvent de la même intention : « Au bout du compte, ce qu’ils essaient de faire, c’est de nous priver de notre consentement et du droit à disposer de notre corps sur Internet. »
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