Considéré par ses partisans comme un rempart contre l’inflation, le bitcoin, qui avait atteint son record à plus de 68 000 dollars (près de 65 000 euros) en novembre 2021, a vu son prix chuter de plus de 15 %, lundi 13 juin, s’approchant de la barre des 20 000 dollars. Alors que les investisseurs s’inquiètent de la remontée des taux et du risque de récession aux Etats-Unis, l’ensemble du marché des cryptomonnaies est passé sous le cap symbolique des 1 000 milliards de dollars. Il avait pourtant dépassé les 3 000 milliards il y a à peine sept mois.
La tempête des marchés financiers n’épargne pas le bitcoin, et est en partie le fruit des décisions des grandes banques centrales, notamment aux Etats-Unis, avec la Réserve fédérale (Fed) et dans la zone euro, avec la Banque centrale européenne (BCE). Ces dernières, en injectant des liquidités dans le système financier pour soutenir l’économie affectée par la pandémie de Covid-19 et les confinements ces derniers mois, ont favorisé la création de bulles spéculatives et la montée en partie artificielle des cours, notamment des actions technologiques (Nasdaq). Cependant, on assiste aujourd’hui à l’éclatement de ces bulles comme à la chute des marchés, dont celui des cryptomonnaies.
En cause notamment : le changement de cap monétaire. Les banques centrales resserrent leur politique et retirent leur soutien à l’économie pour lutter contre l’inflation, particulièrement élevée aux Etats-Unis. La BCE a annoncé qu’elle relèverait ses taux directeurs le 21 juillet, tandis que la Fed a déjà commencé à remonter les siens. Dans ce contexte de flambée des prix et de fortes incertitudes liées à la guerre en Ukraine, les investisseurs ont tendance à se replier sur des actifs considérés comme plus sûrs, comme les obligations d’Etat américaines. Et ils vendent des actions jugées comme plus risquées, dont celles des entreprises technologiques, ce qui fait chuter le cours du Nasdaq, ainsi que la valeur du bitcoin. « Les investisseurs ont tendance à traiter de la même manière tous les actifs risqués. Ils vendent alors tout le paquet, y compris les cryptomonnaies », précise Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management.
« Conditions de marché extrêmes »
En plus de l’inflation, les soubresauts récents du monde des cryptomonnaies participent également à la défiance généralisée vis-à-vis du bitcoin. A l’exemple de la crise des « stablecoins » (des cryptomonnaies visant un prix fixe face au dollar), déclenchée par l’effondrement du Terra. Le 11 mai, le Terra, dont la valeur est normalement proche de 1 dollar, est tombé à environ 30 cents. Il s’échangeait plus tôt dans la journée à 43 cents, en baisse de 53,5 % par rapport à son cours de la veille.
La parité avec le dollar n’était pas assurée par des réserves en devises, mais par un algorithme qui réalise des arbitrages en fonction de l’offre et de la demande d’une autre cryptomonnaie, sa « petite sœur » Luna. Mais ce jeton numérique a lui-même dégringolé sous l’impact d’une vague de liquidations. Le 11 mai, il sombrait de près de 95 %, à 1,69 dollar, entraînant alors une panique et une vente massive de Terra. Le stablecoin s’est effondré, provoquant une vague de méfiance et la baisse du cours de nombreuses cryptomonnaies dans son sillage, dont le bitcoin.
Ce n’est pas tout : lundi 13 juin, Celsius Network, une société de prêt de cryptomonnaies établie dans le New Jersey, a annoncé avoir suspendu « tous les retraits et transferts entre comptes », « en raison de conditions de marché extrêmes ». La plate-forme propose aux investisseurs de déposer leurs cryptomonnaies et de leur verser en échange des rendements supérieurs grâce à des prêts ou à des placements. Elle avait attiré l’intérêt de la finance traditionnelle, avec par exemple une montée à son capital de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Mais les actifs placés auprès de Celsius ont vu leur valeur fondre, le fonds affirmant gérer 12 milliards de dollars mi-mai, soit moitié moins que fin 2021.
Les turbulences ont également touché la plate-forme américaine de cryptomonnaies Coinbase, qui a enregistré une perte nette de 430 millions de dollars au premier trimestre. Elle a annoncé, mardi 14 juin, la suppression de 18 % de ses effectifs, son patron évoquant les conditions économiques et « l’expansion trop rapide de la société ». Cela correspond à environ 1 100 postes, a précisé Coinbase dans un document boursier. L’entreprise employait 1 250 personnes début 2021, contre plus de 6 000 actuellement.
Maël Gally