Défenseur incontesté de la culture – il s’est battu notamment pour imposer à Bruxelles l’exception culturelle –, Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), rappelle que Paris avait jusqu’à présent toujours défendu le droit d’auteur dans les débats européens.
Il s’insurge contre le fait que, lors de l’adoption de la législation européenne sur l’intelligence artificielle (IA), cela n’ait pas été le cas. A ses yeux, la France a renoncé à ce combat pour complaire à Mistral, la « licorne » hexagonale spécialisée dans l’IA. Paris s’est retrouvé isolé et a dû approuver le règlement européen sur l’intelligence artificielle.
Vous êtes l’un des rares à attaquer la position française prise avant l’adoption, à Strasbourg, de la législation européenne sur l’intelligence artificielle, le 13 mars. Pourquoi ?
Dans le cadre du trilogue avec les représentants des Etats, Thierry Breton [commissaire européen chargé de la politique industrielle, du marché intérieur, du numérique, de la défense et de l’espace] proposait, fort de l’appui du Parlement européen, que les sociétés d’intelligence artificielle qui entraînent les machines génératives fassent preuve de transparence. Qu’elles soient obligées de faire connaître ce qui avait servi à leur apprentissage et dévoilent la liste des données aspirées.
Jusqu’à présent, dans tous les dossiers liés aux droits d’auteur et à la défense de la création, Bruxelles apparaissait prolibérale, et la France était partisane de la régulation et de la défense de la création. Là, pour la première fois, les rôles étaient inversés : celui du « gentil » était tenu par Thierry Breton, tandis que les « méchants » étaient Bruno Le Maire [ministre de l’économie] et Jean-Noël Barrot [ministre délégué chargé de la transition numérique sous le gouvernement Borne, entre 2022 et 2024]. La France, pays inventeur des droits d’auteur, est apparue à front renversé, à l’inverse de ce qu’elle a toujours défendu. MM. Le Maire et Barrot ont laissé tomber la défense du droit d’auteur au nom d’un développement du numérique national. Mais surtout pour faire plaisir à Mistral – l’une des principales start-up françaises de l’IA –, dont le lobbyiste à Bruxelles est Cédric O, ex-ministre chargé du numérique.
Pour bloquer l’adoption du règlement sur l’IA, la France a essayé de créer une minorité de blocage en allant chercher les Allemands, les Italiens et d’autres pays, mais finalement tous se sont défilés. On a vécu une période lamentable. La France s’est assise sur ses valeurs, s’est retrouvée largement isolée et a dû, in fine, approuver le règlement européen. C’est quand même très curieux d’avoir à se réjouir que la France soit battue… Thierry Breton était furieux.
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