De toutes les nouveautés annoncées par Apple pour ses iPad, Stage Manager est assurément la fonction qui a retenu le plus l’attention. Il faut dire que dans le monde Post PC, qu’a dessiné l’arrivée de l’iPhone et où l’iPad se dresse en alternative au MacBook, Apple (et Microsoft qui a décidé de parcourir le chemin inverse) a toujours à résoudre un enjeu ergonomique de taille.
Il doit faire d’une tablette, centrée sur une interface tactile, un candidat satisfaisant au titre de PC portable.
Depuis iPadOS 9, Apple s’y attelle, sans réussir à trouver la solution parfaite.
Est-ce le cas avec iPadOS 16 ? Stage Manager coche-t-il toutes les cases ? Est-ce que cette fonction tient ses promesses ? Mieux, répond-elle aux vrais besoins quotidiens ?
Depuis le 6 juin dernier, nous « vivons » sous iPadOS 16, et travaillons très régulièrement sur un iPad Pro 12,9 pouces (avec 16 Go de mémoire vive). On vous donne nos impressions récoltées sur la première bêta disponible et destinée aux développeurs. Car il faut bien garder en tête qu’il ne s’agit pas ici d’une version définitive du logiciel et que tout peut encore changer…
Petite mise en contexte
Puisqu’on parle de changement, arrêtons-nous quelques secondes sur le discours d’Apple. Depuis quelque temps, à écouter ses représentants, l’iPad n’est plus tant un remplaçant ou successeur des Mac qu’un compagnon de route, une expérience plus polyvalente qui vient en appoint… Autrement dit, il ne remplace pas, il complète. Ce réajustement semble prendre en compte la réalité des ventes : les acheteurs d’iPad ont aussi un Mac… Au temps pour le Post PC et la fin du Mac.
Néanmoins, cette révision stratégique, près de quinze ans après sa venue au monde, ne revient pas à arrêter de faire des efforts. Stage Manager en est une preuve. Elle marque en revanche un léger tournant (temporaire ?) dans la perception des différents iPad, par Apple lui-même. Le géant de Cupertino se sert désormais des puces embarquées pour créer des différences.
Ainsi, Stage Manager n’est pas une solution universelle. Elle est même réservée aux iPad équipés d’une puce M1, autrement dit à trois modèles seulement, les iPad Pro 11 et 12,9 pouces, ainsi que le tout dernier iPad Air. Outre la question de la puissance brute, Apple justifie cette exclusivité par le fait que Stage Manager repose lourdement sur une nouveauté introduite dans iPadOS 16, le swap de mémoire virtuelle, notamment.
S’il y a toujours eu une légère différence de traitement entre les tablettes les plus récentes, qui avaient droit à toutes les fonctions, et les plus anciennes qui bénéficiaient de beaucoup moins de nouveautés fonctionnelles, il y a désormais clairement deux camps dans le monde des iPad. Celles qui utilisent une puce Axx, et celles qui trônent au sommet avec le M1. Il en va ainsi de l’affichage étendu sur un écran externe qui n’est disponible que sur les tablettes les plus puissantes.
Stage Manager, qu’est-ce que c’est ?
Avant d’aller plus avant, décrivons rapidement ce qu’est Stage Manager. Apple le présente comme un moyen de rester concentré sur une tâche. Oubliant presque la promesse de multitâche portée par cette nouvelle fonction. Car l’objectif est autant de permettre à l’utilisateur d’utiliser au maximum la taille de l’écran, que de l’autoriser à redimensionner et disposer comme il l’entend les fenêtres des programmes ouverts.
Dans les faits, Stage Manager est donc une nouvelle manière de présenter les applications – surtout sur iPadOS, vous l’aurez compris. En bas de l’écran s’affiche le Dock, qu’on peut décider de masquer pour avoir plus de surface utile allouée à l’application choisie.
Sur le côté gauche, on trouve quatre vignettes, qui représentent les quatre dernières applications, ou les quatre derniers groupes d’applications ouverts. On peut passer de l’un à l’autre en tapant du doigt sur la représentation désirée.
Sans avoir à jongler avec les Spaces, pas toujours très intuitifs à gérer et surtout modifier, Stage Manager place au bout des doigts davantage d’applications. Chaque espace peut compter jusqu’à quatre applications maximum, pour un maximum de huit applications ouvertes simultanément. Sachant qu’il est possible de regrouper quatre applications (Safari, Messages, Notes et Mail, par exemple), et d’y ajouter une vidéo en mode Image dans l’image…
Cette limite, qui n’existe pas sur Mac, répond au moins à trois raisons.
La première est la lisibilité à l’écran. N’oublions pas que l’iPad Pro n’offre au maximum qu’une diagonale d’écran de 12,9 pouces – même si Stage Manager fonctionne aussi avec un écran externe. La deuxième tient au fait que, dans iPadOS, tout doit être passé au filtre du tactile et de la limite de précision que cela implique parfois. Votre doigt est plus large qu’un curseur de souris. Enfin, la troisième raison est liée à une question d’impact sur les performances des iPad – souvenez-vous, seuls les plus puissants y ont droit, et eux aussi ont des limites.
Premiers retours, de grands changements, un grand mieux
Maintenant que les présentations sont faites, qu’elles sont nos premières impressions après cette dizaine de jours de prise en main.
Avant toute chose, il faut souligner à quel point, même sur une première bêta, Stage Manager est fluide, réactif et stable. Malgré nos tentatives de le prendre en défaut en exagérant nos changements d’espaces de travail, nos appels à des applications, nos ajustements et réajustements des dimensions des fenêtres, Stage Manager n’a jamais ralenti, ou planté. Nous n’avons pas non plus connu les petits bugs d’affichage que nous rencontrons parfois en utilisant Stage Manager sur la première bêta de macOS Ventura. Bonne nouvelle, donc !
Ensuite, il est impressionnant de voir à quel point on s’habitue vite à ce surcroît de fluidité. Nous sommes de grands fans des Spaces sur macOS, où nous répartissons les applications en plein écran, seule ou par groupe de deux – par usage, souvent. Mail, avec Messages, par exemple. Ce qui est assez rapide et pratique sur macOS l’était toutefois beaucoup moins sur iPadOS, d’où le besoin d’une nouvelle façon d’interagir avec l’écran tactile et les applications.
Par ailleurs, sur macOS, nous avons toujours au moins un ou deux bureaux avec quelques applications ouvertes en mode fenêtré, que ce soit pour interagir plus facilement avec le bureau, une fenêtre Finder, ou tout simplement parce qu’une application n’a pas d’intérêt à être en plein écran.
Grâce à Stage Manager sur iPadOS, nous avons un peu retrouvé cette façon de fonctionner, plus souple et adaptée à différentes approches de l’utilisation d’un programme. Dans la plupart de nos tâches du quotidien, nous avons même pu travailler uniquement avec l’iPad (un modèle Pro 12,9 pouces 2021), et les enchaîner sans connaître les ralentissements dans nos processus de production habituels.
C’est en soi, une grande réussite. Jamais depuis l’arrivée du multitâche dans iPadOS, nous n’avions été si proche d’une expérience Mac sur un iPad.
Les limites de quelques applis et de Fichiers
A quelques reprises, nous avons été bloqués dans notre flux de production, mais c’était davantage lié à une application spécifique. Ainsi, certains programmes ne tolèrent pas très bien de cohabiter avec une autre appli sur un écran, ou alors certaines manquent encore des fonctions que leur sœur sur macOS offre pour assurer la totalité des processus nécessaires à nos tâches quotidiennes.
Autre point qui demande encore un peu de rodage et d’amélioration, si l’accès aux fichiers sauvegardés dans le cloud (ou en local) est relativement simple désormais, grâce à l’application Fichiers, il est important d’avoir en tête qu’une seule occurrence de ce programme est ouverte à la fois.
Ainsi, si vous souhaitez accéder à un dossier depuis Fichiers dans un espace pour travailler avec un traitement de texte, par exemple, puis changez d’espace pour ouvrir une autre fenêtre Fichiers afin d’accéder à des images à retoucher, la première fenêtre disparaîtra du premier espace.
Plus embêtant encore, il vous faudra à chaque fois vous déplacer dans l’arborescence de Fichiers pour retrouver le bon répertoire, le bon document. Vous vous retrouvez en effet sur le dernier dossier ouvert. Rejoindre l’avant-dernier nécessite de renaviguer là où vous étiez, parfois seulement quelques secondes plus tôt…
Pour en finir avec Fichiers, on aurait aimé, comme sur macOS quand on utilise la fonction Stage Manager, que d’appuyer sur le fond d’écran donne accès à un « bureau », où des documents (juste quelques-uns) pourraient être déposés, comme en transit, pour faciliter les choses. Ou alors, il pourrait être utile de faire en sorte que taper sur le fond d’écran ouvre une instance de Fichiers, avec un système d’onglets qui donneraient accès au deux ou trois derniers sous-dossiers ouverts…
Autrement dit, sur ce point spécifique, celui de l’interaction avec des documents précédemment créés, Apple n’a pas encore réussi à fournir la même souplesse qu’avec le Finder. C’est un peu dommage, car ce petit manque établit un obstacle, une petite cloison à contourner quand on travaille.
Des points d’ergonomie à peaufiner et de très bonnes idées
Stage Manager est indéniablement un grand pas en avant vers la transformation de l’iPad en Mac suppléant. La tablette a toutefois des spécificités qui semblent être parfois contraignantes dans le cadre de Stage Manager. La première qui vient en tête est sa nature tactile.
Stage Manager est pensée pour être utilisé avec un clavier et un trackpad. On en veut pour preuve qu’il est impossible d’activer Spotlight en glissant le doigt vers le bas de l’écran. Il faut obligatoirement recourir à son raccourci habituel, venu de macOS : Cmd Espace. Néanmoins, l’interface des fenêtres demeure pensée pour être contrôlé avec le doigt.
Cela a des très bons côtés quand il s’agit de facilement redimensionner une fenêtre, jusqu’à la passer en plein écran, d’ailleurs. Mais cela en a également de moins bons.
Pour fermer une application, ajouter une fenêtre à un espace ou la passer directement en plein écran, il faut passer par deux étapes, là où le Mac n’en impose qu’une.
Certes, les trois points de couleur en haut à gauche des fenêtres applicatives du Mac ne seraient pas forcément adaptés sur iPad, mais ce système simple pourrait être adapté au tactile et être toujours accessible, immédiatement. De même, quand on a passé une application en plein écran, on aimerait pouvoir la refenêtrer à sa dimension précédente via un simple bouton…
Bref, quelle que soit la solution à apporter, celle qui est proposée actuellement n’est pas la plus efficace et la plus ergonomique. Mais une fois encore, nous avons affaire à une bêta.
Et puis, malgré quelques petits détails encore à ajuster, il est très facile de passer d’une application à une autre. Les fenêtres se superposent intelligemment, sans jamais totalement se cacher. Mis à part une relative rigidité dans la disposition des fenêtres et quelques petits bugs, tout va bien.
D’excellentes idées compensent les menus soucis que nous avons rencontrés. Quand les fenêtres se multiplient et prennent de la hauteur, on apprécie que le Dock, actif par défaut, s’escamote. Pas d’inquiétude, il revient quand on a besoin de lui, ne serait-ce qu’en glissant son doigt du bord inférieur de l’écran vers le haut.
Par ailleurs, quand les fenêtres deviennent trop larges, les piles latérales d’applications se masquent également afin de laisser de la place à ce qui compte à cet instant, l’espace de travail. C’est assez épatant, et toujours fluide.
On recommandera toutefois de ne pas juxtaposer plus de trois applications qui ont besoin d’espace, afin de pouvoir les déplacer et redimensionner facilement. Enfin, on regrettera simplement qu’il ne soit pas facile de profiter du meilleur des deux mondes : les espaces multitâches à deux applis en plein écran, et Stage Manager. Il n’est ainsi pas facile (voire pas possible, en fait) de juxtaposer deux fenêtres en plein écran dans Stage Manager.
C’est un petit regret, car cela permettrait de bénéficier à l’envi des deux options de présentations. Cela renforcerait l’idée de permettre à l’utilisateur de se concentrer sur deux tâches, sur un espace de travail, tout en permettant de conserver l’incroyable fluidité apportée par le système des piles applicatives sur le côté gauche de l’écran.
A utiliser Stage Manager, on entend bien qu’il y a encore un peu de marge de progression. On perçoit, deci delà, un léger manque de souplesse dans certaines interactions. Citons, à titre d’exemple, la première d’entre elle : celle qui permet d’activer Stage Manager.
A notre connaissance, on ne peut l’activer que depuis le Centre de contrôle. Pour apporter plus de fluidité, on aurait vraiment aimé pouvoir la lancer au travers d’un raccourci. Après tout, iPadOS en regorge… La preuve, on peut invoquer le Centre de Contrôle avec Fn C.
En attendant une version définitive…
Stage Manager est en cours d’affinement, mais sa première mouture est prometteuse, très prometteuse. Craig Federighi, le patron du logiciel pour Apple, a d’ores et déjà promis des améliorations, des évolutions au fil de l’été. Mais ce premier pas va clairement dans la bonne direction. Pour la première fois, il semblerait que matériel et logiciel aillent main dans la main – au point de repousser les configurations dans leurs retranchements.
Evidemment, comme beaucoup, on regrettera que Stage Manager ne soit pas disponible sur tous les iPad, mais au-delà des besoins en ressources que seuls les modèles plus récents proposent, Apple tient là l’élément parfait pour tracer au sein de ses tablettes une ligne de partage claire.
Partant que tous les iPad sont très polyvalents, certains le seront davantage que d’autres, ajoutant à leur arc la corde de la productivité classique, réservée habituellement aux Mac…
Alors, posons la question une fois encore : les iPad sont-ils désormais des alternatives crédibles aux PC et Mac portables ? Pour ceux qui supportent Stage Manager, la réponse qui se dessine dans le lointain a des airs de grand « oui ».