« Vous avez huit minutes ! » Le chronomètre est lancé : par groupes de six, il est l’heure de rencontrer Ophenya. Devant leur idole, certains tremblent quand d’autres sont émus aux larmes. « Mon rêve est devenu réalité », souffle une fan alors qu’Ophenya l’enlace. Pendant ces quelques instants, les « bgnyas » (prononcez « bégénia »), comme on appelle les admirateurs de l’influenceuse, peuvent discuter et se prendre en photo avec elle. Mais une fois la poignée de minutes écoulées, certains s’effondrent. « Je ne reverrai plus jamais Ophenya », sanglote auprès de sa mère une abonnée anéantie.
Au même moment, ils sont un demi-millier à attendre leur tour. La vidéaste aux cinq millions d’abonnés sur TikTok a organisé, samedi 27 avril à Paris, un « meet-up », un moment de rencontres avec ses abonnés. Chacun sur son petit bout de trottoir, les « bgnyas » organisent chorégraphies et karaokés pour faire passer les quelques heures de queue estimées.
Cette atmosphère de liesse détonne avec la tempête dans laquelle est plongée la créatrice de contenus depuis le 9 avril. Ce jour-là, dans le cadre de l’examen d’un projet de loi visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires à l’Assemblée nationale, le député Arthur Delaporte déclare avoir été alerté à son sujet. Selon l’élu, Ophenya exercerait « une emprise » sur ses abonnés et serait même à l’origine de possibles « dérives sectaires », que l’influenceuse dément catégoriquement. La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) affirme, de son côté, avoir reçu plusieurs signalements à son encontre.
Crush, Attal et le déclin
Tout avait pourtant bien commencé pour Ophélie Vincent. Après une licence de psychologie, la Lyonnaise se lance sur TikTok pendant la pandémie de Covid-19. Elle y trouve rapidement le succès et fait peu à peu évoluer ses vidéos de danse vers des thématiques plus sérieuses. « J’ai l’impression qu’il y a un vrai mal-être dans cette génération donc je fais des lives avec des sujets comme les violences conjugales, le harcèlement scolaire, la confiance en soi… », explique au Monde celle qui dit avoir été harcelée à l’école. Donner la parole à ses abonnés et « les conseiller, un peu comme une grande sœur », assume-t-elle, constitue aujourd’hui son credo.
Alors qu’elle est déjà très suivie en ligne, c’est le 4 novembre que la tiktokeuse commence à défrayer la chronique, lorsqu’elle invite ses fans à s’inscrire sur Crush, une application destinée aux 10-21 ans. A partir de sondages, les utilisateurs peuvent y dévoiler leurs coups de cœur amoureux parmi leurs camarades de classe. De nombreuses voix s’élèvent alors pour dénoncer une vaste collecte de données sensibles auprès d’un public principalement mineur et la facilité d’en détourner les usages, notamment par des pédocriminels.
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