artifice marketing ou vrai bénéfice ?

Pneu Voiture Electrique Michelin


Qu’un client se penche sur une nouvelle voiture électrique au gabarit d’une Peugeot e-208 ou celui d’une BMW iX2, le discours que tiennent les fabricants de pneumatiques est le même. Qu’importe le modèle, il faut revoir le cahier des charges pour répondre à de nouvelles contraintes. Du fait de leur surpoids, et de la nécessité de maximiser l’efficience pour garantir la meilleure autonomie possible des batteries, les voitures électriques doivent s’équiper de pneus plus robustes, tout en réduisant leur résistance au roulement.

Les nouveaux pneus pour voiture électrique doivent aussi pallier le taux d’abrasion plus élevé, car les moteurs électriques offrent des caractéristiques de conduite plus proches des sportives que des voitures de tous les jours. En moyenne, une voiture électrique fait perdre 10 000 kilomètres de durée de vie à un pneu face à une voiture thermique selon une étude Epyx, pour atteindre 28 944 km ou 551 jours d’utilisation.

Ne s’agirait-il pas d’un problème factice, créé de toutes pièces par l’industrie afin de vendre des pneus plus cher ? Peu de manufacturiers le reconnaissent, mais ces pneus optimisés pour les voitures électriques ont un surcoût. Et ils doivent être remplacés plus fréquemment. Les automobilistes paient les nouveaux composants et les nouveaux procédés mis en place dans la conception, mais aussi les dimensions spéciales, souvent plus larges que les pneus conventionnels.

L’autonomie et la gestion du poids des voitures électriques ne sont pourtant pas les seuls critères qui ont motivé les fabricants à proposer de nouveaux pneus. Sur leur feuille de route, la nécessité d’abaisser les bruits de roulement, pour des voitures devenues muettes.  Michelin, Pirelli, Hankook, Bridgestone… tous ont vu l’intérêt de s’adapter, malgré un marché de seulement 12 millions de pneus en Europe en 2021, sur un total de 450 millions.

© Pirelli

Deux approches différentes du pneu pour voiture électrique

Le développement des pneus pour voiture électrique n’a pourtant pas suivi la même stratégie chez les manufacturiers. D’un côté, il y a ceux qui cherchent à développer une gamme spécifique, indépendante de la gamme classique, à l’instar de Pirelli et de Hankook. De l’autre, ceux qui préfèrent ne pas faire de distinction, et proposer des pneus optimisés pour les voitures électriques aussi bien que pour les voitures thermiques, comme Michelin et Bridgestone.

L’approche diffère, même si chaque marque se dit répondre avec le même niveau d’exigence. Cyrille Roget, en charge de la communication pour le pôle technique et innovation de chez Michelin, explique pourtant cette différence de stratégie par « une différence de niveau de technologie et d’innovation » – au profit de ceux qui proposent une seule et même gamme. Chez le manufacturier français, l’objectif est que chaque modèle de pneu puisse être monté sur n’importe quelle voiture, qu’elle soit électrique ou non.

Pirelli fonctionne différemment, et le justifie : « les véhicules électrifiés sont les mêmes que les autres en apparence, mais dans les faits, ils ont des comportements et des caractéristiques très différents. C’est pour cela que ces modèles nécessitent des pneumatiques spécialement conçus pour leur bonne utilisation », détaille à 01net.com la marque qui propose plus de 300 homologations sur plus de 50 modèles électriques. Pour différencier ses pneus EV du reste de la gamme, elle y a apposé un marquage « ELECT ».

Malgré son discours à vouloir faire converger ses gammes et les rendre compatibles à toute voiture, Michelin a aussi ajouté un badge « EV » à son Pilot Sport, comme il a appelé son deuxième pneu optimisé pour l’efficience « E-Primacy ». Mais selon la marque, il ne s’agit pas de limiter ces références aux voitures électriques. « Les pneus E-Primacy conviendront parfaitement à des conducteurs de voiture thermique qui souhaiteraient limiter le bruit de roulement et réduire leurs consommations », soutient Cyrille Roget. Pour son pneu 4 saisons Cross Climate 2, il n’y a plus de différenciation. Il est compatible pour les électriques, même sans marquage. 

Chez Bridgestone, la stratégie a changé au fil des mois, alors que les projections sur les ventes de voitures électriques sont devenues plus claires. « Au lieu de développer une nouvelle gamme, retravailler une gamme existante permet d’aller beaucoup plus vite », confie à 01net.com Mathieu Petitjean, responsable technique du fabricant japonais. Avec ses Turanza 6, Turanza 6 All Season et prochainement son Turanza 6 pour l’hiver, Bridgestone dit avoir confectionné une nouvelle gamme qui puisse à la fois convenir aux électriques, aux hybrides et aux thermiques.

Pneu Voiture Electrique Bridgestone Turanza
© Bridgestone

« On ne compte plus différencier un pneu pour voiture électrique d’un pneu classique. C’est notre politique, plutôt que d’avoir une gamme dédiée d’un côté comme de l’autre. C’est pourquoi nos pneus n’ont pas de marquage EV ou dédié VE. Ils ont juste un marquage ‘Unliten’ sur le flanc. Ça permet aux consommateurs et aux distributeurs de savoir que ces pneumatiques sont compatibles aux voitures électriques, mais aussi bien sûr aux véhicules thermiques », explique Mathieu Petitjean.

Un nouveau critère d’homologation en juillet 2024

Qu’il soit intégré à la gamme classique ou qu’il s’agisse d’un modèle spécifique, le pneu pour voiture électrique tient-il ses promesses ? Au mois de juillet prochain, il sera plus simple pour n’importe qui d’en juger, car les organismes d’homologation prendront désormais en compte des tests sur les pneumatiques une fois usés. Cela permettra de mieux juger de la qualité du pneu sur la durée, et notamment de ces nouveaux pneus pour voiture électrique qui prônent une faible résistance au roulement, et qui pourraient donc perdre en performances.

Sur la question du taux d’abrasion, Michelin est confiant. Le fabricant assure que plus de 99 % de sa gamme actuelle passe déjà les tests d’homologation sans qu’il n’y ait besoin de revoir leur conception. « Cela veut dire que d’ici juillet prochain, les pneus que l’on trouvera sur le marché seront non seulement sûrs à l’état neuf, mais ils seront aussi sûrs à l’état usé », se réjouit de la nouvelle mesure le responsable de la communication de Michelin.

Le vrai intérêt du pneu pour voiture électrique

Si certaines marques comme Michelin et Bridgestone ont décidé d’intégrer leur gamme de pneus pour voitures électriques à la gamme classique, c’est parce que la différence entre les deux n’est plus autant marqué qu’avant. Car selon Cyrille Roget, il faut distinguer les voitures électriques reposant sur une plateforme spéciale de celles reposant sur une plateforme classique, développée à l’origine pour accueillir des motorisations thermiques.

« Pendant plusieurs années les constructeurs partaient d’une plateforme existante sur laquelle souvent la dimension du pneu était imposée. Avec les batteries, ils alourdissaient une plateforme qui n’était pas conçue au départ pour recevoir des batteries. Les pneus devaient eux aussi porter plus de charges », détaille le responsable de la communication de Michelin. 

L’arrivée des plateformes pour voiture électrique a ainsi permis aux constructeurs de travailler main dans la main avec les manufacturiers, et prendre en compte l’importance des dimensions des pneumatiques. Un moyen d’augmenter l’indice de charge. Un poids nuancé par Mathieu Petitjean de Bridgestone qui rappelait qu’avec « le surpoids, le freinage régénératif et le couple, un conducteur de voiture électrique va malheureusement user ses pneus plus rapidement. Ce n’est pas la faute des pneus, mais de la voiture et de la conduite ».

Le gain en autonomie fait davantage consensus. Michelin estime que ses pneus optimisés pour voiture électrique permettent d’augmenter de 30 à 40 kilomètres le rayon d’action avec une charge, quand Pirelli évoque 10 % en moyenne d’autonomie supplémentaire. Chez Bridgestone, on parle bien d’efficience côté consommation, mais sans donner de mesures ou de pronostics.

Chez Hankook, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, de précédents chiffres avançaient un gain d’autonomie de 26 % avec les pneus iON, mais il s’agissait en réalité d’une baisse de la résistance au roulement de 26 %, ce qui ne veut pas dire la même chose.

Pneu Voiture Electrique Taycan
© Porsche

La loyauté de la première monte

Pour remporter des parts de marché du pneu pour voiture électrique, les fabricants ne visent plus les clients directement. Leur stratégie : plaire aux constructeurs automobiles, pour développer des pneus spécifiques à chacun de leurs modèles, qu’ils équiperont ensuite sur chaque exemplaire vendu. Si Michelin se targue d’avoir une part de marché trois fois plus élevée chez les voitures électriques que les thermiques, c’est parce que pour le manufacturier, la loyauté des clients y est plus forte.

« La voiture électrique a permis de conscientiser à nouveau l’importance des pneumatiques. Entre le rôle qu’il joue pour faire augmenter l’autonomie de 30 à 40 kilomètres et la variation du bruit perçu dans l’habitacle, son choix est d’autant plus important qu’il ne l’était avant », détaille Cyrille Rogiet de Michelin. « Si un client est satisfait de ses pneus en première monte, il est probable qu’il reste fidèle et qu’il choisisse la même marque ou la même référence au moment de les changer. Récemment, nous avons proposé en exclusivité des montes de pneus pour Peugeot e-3008 et Porsche Macan électrique », ajoute-t-il.

Pirelli suit la même stratégie, alors que l’entreprise italienne listait à 01net.com tous les constructeurs qui avaient décidé de lui faire confiance pour leur première monte. « Nous équipons en sortie d’usine les marques Audi, Bentley, BMW, Ford, Hyundai, Jeep, Karma, Lotus, Maserati, Mercedes, Polestar, Porsche, Rolls-Royce, Skoda, Tesla, Volkswagen et Volvo. Nous sommes le partenaire principal des constructeurs Premium et Prestige, alors que 7 constructeurs automobiles Premium et Prestige sur 10 font confiance à Pirelli pour leurs voitures électriques ».

Les manufacturiers ont donc tout intérêt à proposer des gammes de bonne qualité pour les automobilistes, qui pourraient ainsi les racheter à la deuxième monte. D’autant plus que face à un pneu classique, un pneu pour voiture électrique est 10 % plus cher selon Pirelli, seule marque a avoir accepté de nous donner un ordre de grandeur sur cette question des prix. Mais l’intérêt est aussi du côté des constructeurs automobiles, selon Michelin. « Il y a des études qui montrent que la satisfaction du pneu, c’est aussi un élément de rachat de la marque automobile », précise Cyrille Roget.

Bridgestone a un avis plus nuancé. Pour le manufacturier, la loyauté du client n’est pas gagnée avec l’arrivée des voitures électriques. « Un client va penser que la durée de vie de ses pneus est la même que celle de son ancien modèle thermique. Sauf qu’aujourd’hui, on sait qu’avec le surpoids, le freinage régénératif et le couple, il va malheureusement user ses pneus plus rapidement. Ce n’est pas la faute des pneus, mais de la voiture et de la conduite », signalait Mathieu Petitjean.

« Ce qui est bon pour l’électrique est bon pour le thermique »

Si le pneu pour voiture électrique n’est pas intégré dans la gamme traditionnelle chez Pirelli, il semble que les manufacturiers soient de plus en plus à vouloir intégrer ses technologies à la gamme complète. Faut-il en conclure que le pneu pour voiture électrique n’est pas vraiment spécifique ? Non. Il a beau être plus cher et rendre certains clients mécontents à devoir changer leurs pneus plus tôt que prévu, il reste les plus optimisés pour l’autonomie, la réduction de bruit de roulement et le surplus de poids de la voiture.

En revanche, la mention « EV » ou tout badge relatif à l’électrique pourrait disparaître. Car « ce qui est bon pour l’électrique est bon pour le thermique », mentionne le responsable de chez Michelin. De telles appellations laissent à penser que les voitures électriques devraient impérativement s’équiper de pneus spécifiques, alors que ces choix de gammes ne permettent que d’optimiser certains critères, et principalement l’efficience, la réduction de bruit de roulement et l’abrasion des gommes.

Dire qu’il existerait des pneus spécifiques aux voitures électriques reste donc un mensonge, car un client pourrait privilégier la tenue de route, en choisissant des pneus tournés davantage tournés sur la performance, ou sur des conditions comme les pneus 4 saisons, les pneus hiver ou les pneus cloutés.

Qu’ils souhaitent s’équiper de tel ou tel pneu, les clients devront dans tous les cas choisir en fonction des dimensions relatives à leur modèle. Et rien que sur ce point, toutes les références de pneu ne seront pas disponibles. D’où le fait aussi que les manufacturiers n’aient pas besoin de motiver les clients à passer sur des pneus plus chers, optimisés pour la voiture électrique : la contrainte des dimensions s’en charge à leur place.

Cette question des dimensions pose aussi des questions au chapitre environnemental. Du fait de pneus plus larges pour pallier le surpoids des voitures électriques, l’Agence de la transition écologique (Ademe) alertait en 2022 sur les risques d’une hausse des émissions de particules fines en provenance des bandes de roulement. L’OCDE table d’ailleurs sur un équilibre en 2035, entre la pollution engendrée par les pneus et les freins, face aux gaz d’échappement.

À l’instar des marques automobiles, les fabricants de pneus seront donc bientôt contraints au respect de nouvelles normes environnementales. Une priorité que reconnaît Bridgestone, même si la neutralité carbone et les 100 % de matériaux durables dans la conception d’un pneu restent des objectifs à 2050 – un horizon « qui n’est finalement pas très éloigné », nous confiait le fabricant.

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