C’est un rendez-vous que je ne manquerais sous aucun prétexte. Une fois par mois, en moyenne, l’alerte tombe : « Primitive Technology » vient de mettre en ligne une nouvelle vidéo. Instantanément, me voilà projeté – et vous avec moi pour cette fois – dans un coin de forêt tropicale, non loin de la ville australienne de Cairns, dans l’Etat septentrional du Queensland. Là nous attend John Plant, 42 ans, Robinson mutique et méthodique, toujours torse et pieds nus, maître ès bushcraft, l’art de la survie dans les bois.
Notre hôte est aussi et surtout un vidéaste de génie cumulant plus de 10 millions d’abonnés sur sa chaîne YouTube. Rassurez-vous, si « Primitive Technology » draine certainement dans son sillage des adeptes du survivalisme se préparant à l’âpreté d’une lutte sans merci dans les décombres de l’apocalypse anxieusement guettée (voire secrètement espérée), l’ambiance générale de la chaîne évoque plutôt les joies simples d’une existence hors du temps, les jeux enfantins dans une cabane à la Tom Sawyer.
Le dépouillement du dispositif – plan fixe, son d’ambiance uniquement, absence complète de voix off – fait écho au radicalisme du projet : repartir de zéro, sans outils ni matériaux. « Start from scratch », en VO.
Dans sa toute première vidéo publiée en 2015, l’homme érige une hutte de branchages et d’argile. Pour être tout à fait précis, il commence par assembler une hache de pierre avant de se mettre à l’ouvrage. Neuf ans plus tard, le même aborde actuellement l’aube de l’âge des métaux, ayant peaufiné au long d’un long processus « essai-erreur » cumulatif diverses techniques pour extraire du fer des bactéries oxydantes qui affleurent sur les berges d’un ruisseau voisin.
Nous y sommes tous
Il a entre-temps, et entre autres, apprivoisé les techniques de cuisson du charbon, édifié des hauts-fourneaux, élaboré des soufflets, des briques et des tuiles, capturé des écrevisses et des crabes avec des nasses, assemblé un arc (une vidéo classique, parmi les plus populaires), fabriqué quantité de poteries au colombin, préparé de l’igname, cultivé du manioc, tressé d’innombrables paniers de lianes, et même des sandales, qu’il ne porte jamais.
La joie de le retrouver tous les mois s’apparente certes au plaisir de prendre des nouvelles d’un ami lancé dans un interminable projet (« Alors, ce roman/thèse/scénario, ça avance ? »). Mais il y a plus. D’abord, vu la rusticité du format, il convient avant tout d’essayer de comprendre ce qui se trame sous nos yeux. Quel est le plan aujourd’hui ? Pourquoi ramasse-t-il des feuilles ? Pourquoi a-t-il dégagé le sol ? A quoi va servir cette tranchée ? Les étapes minutieuses s’enchaînent et culminent dans la réalisation du jour pour, au bout du compte, nous offrir quelques instants de contemplation béate.
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