Le cabinet du Premier ministre attend la fin de l’année et le rapport d’évaluation de l’expérimentation de la VSA pour trancher la question controversée de la pérennisation de ce dispositif, censé prendre fin en mars 2025. Michel Barnier avait déclaré deux jours plus tôt qu’il allait généraliser l’expérimentation de la VSA.
La VSA, la vidéosurveillance dopée à l’IA, va-t-elle rentrer dans le droit commun après avoir été expérimentée pendant les jeux olympiques et paralympiques de Paris ? C’était la grande crainte des associations de défense des libertés et de la vie privée lors de l’adoption de la loi en 2023 : cette crainte a été ravivée par une déclaration de Michel Barnier lundi 1ᵉʳ octobre.
En début de semaine, le Premier ministre, Michel Barnier, se prononçait en faveur de la prolongation de ce dispositif, lors de sa déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale. La VSA, qui permet de détecter via des algorithmes des comportements ou des situations déterminés, a été autorisée de manière expérimentale par la loi du 19 mai 2023 jusqu’en mars 2025. Et pour le chef du gouvernement, « les Français nous demandent d’assurer la sécurité dans chaque territoire. Sur ce point, nous généraliserons la méthode expérimentée pendant les Jeux olympiques et paralympiques », déclarait-il.
Le rapport du comité d’évaluation attendu
Fin septembre, le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, faisait de même. Lors d’une audition devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, ce dernier dressait un « bilan positif » du dispositif de caméras dopées à l’IA, pendant les JO de Paris, rapportait Le Monde. Le préfet expliquait même qu’à titre personnel, il était très favorable à la prorogation du dispositif. Et il s’agit bien de « la proposition que nous (la préfecture, NDLR) allons pousser », ajoutait-il.
Mais deux jours après la déclaration de Michel Barnier, Matignon a finalement rétropédalé. Interrogé par Franceinfo, le cabinet du Premier ministre a précisé à nos confrères, mercredi 2 octobre, qu’il allait bien attendre le rapport d’un comité d’évaluation prévu à la fin de l’année, avant de trancher la question d’une éventuelle prolongation du dispositif. Ce document doit être présenté au Parlement, avant le 31 décembre 2024.
Qu’est-ce qui a été autorisé dans cette loi ?
Pour rappel, la vidéosurveillance algorithmique ou VSA a été autorisée par la loi relative aux JO de Paris du 18 mai 2023 à titre d’expérimentation. La VSA doit permettre de signaler aux forces de l’ordre, la présence de quatre événements détectés en temps réel, « à charge pour ces agents de confirmer le signalement ou de lever le doute ». Toute « technique de reconnaissance faciale » est exclue.
Si cette loi est une première dans le pays, elle ne régule qu’une toute petite partie de la VSA en France, nous expliquait en juillet dernier Robin Medard Inghilterra, maître de conférences en droit public et spécialiste des droits fondamentaux. La loi de 2023 ne fait que donner un fondement législatif à la VSA pendant les JO et jusqu’en mars 2025. Mais dans les faits, à côté de cette VSA particulière, il existerait en fait un usage méconnu et massif de la VSA en dehors du champ de la loi sur les JO, soulignait le spécialiste.
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Une (autre) VSA déployée sur tout le territoire français qui passe sous les radars
« Cette “VSA classique” (hors loi sur les JO, NDLR) est déjà amplement déployée sur le territoire français. Vous avez typiquement une multitude de dispositifs de VSA déjà implantés dans des collectivités territoriales, dans des communes notamment, ou des EPCI, des établissements publics de coopération intercommunale. Cette VSA passe sous les radars pour différentes raisons, y compris pour la CNIL. (Le gardien de notre vie privée, NDLR) n’a en réalité pas les moyens de déclencher des procédures de contrôle suffisantes par rapport à l’ampleur de son utilisation », précisait-il.
En pratique, avant la loi des JO de Paris, « la vidéosurveillance algorithmée n’était pas nécessairement interdite, elle existait auparavant et elle existe toujours de manière, somme toute, assez peu documentée. Cette VSA est régie par ce qu’on appelle le droit des données à caractère personnel. Ce que fait cette loi des JO, c’est dire : “on va faire une expérimentation, et il nous faut un fondement législatif. On introduit différentes dispositions dans le Code de sécurité intérieure“ », expliquait-il. En d’autres termes, on sécurise pour les JO des usages de VSA.
Cette loi apporte des garanties bien plus poussées que celles existant pour la « VSA classique », estimait-il – à savoir, que la VSA doit :
- être utilisée seulement pour détecter des éléments prédéterminés par un décret d’août 2023, comme un départ de feu, un mouvement de personnes…
- être déployée uniquement pour des lieux précis : les lieux qui accueillent des manifestations sportives, récréatives, culturelles, leurs abords, et les transports qui permettent d’accéder à ces lieux.
- son usage ne peut se faire que sur du temps réel et
- uniquement pour déclencher une alerte.
D’une expérimentation au droit commun ?
Reste que pour de nombreuses organisations de défense des droits comme la Quadrature du Net, Amnesty International ou encore le Conseil national des barreaux, pérenniser ce dispositif reviendrait à un véritable changement de paradigme.
Interrogée par Contexte, ce vendredi 4 octobre, la Cnil, le gardien français de notre vie privée, a fait part de son inquiétude vis-à-vis des risques posés par la VSA. Elle « insiste (auprès de nos confrères, NDLR) sur l’importance de l’évaluation pour mesurer de façon rigoureuse, contradictoire et pluridisciplinaire [leur apport] dans le cadre de cette expérimentation, qui ne saurait préjuger d’une éventuelle pérennisation de ces systèmes ».
Ce collectif d’organisations internationales craignait déjà, pendant le processus d’adoption de la loi en 2023, que la mesure, censée être exceptionnelle, soit à la fin intégrée dans le droit commun – qu’elle devienne donc la norme, comme cela s’est déjà produit dans le passé pour des mesures anti-terroristes.
Plus récemment, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), un organe indépendant qui conseille le gouvernement, appelait en juillet dernier les pouvoirs publics à reconsidérer leur volonté d’accélérer le déploiement des dispositifs de vidéoprotection. Pour l’heure, le message ne semble pas avoir été entendu.
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