Le 18 septembre dernier, une fusée Falcon 9 de SpaceX décollait de Cap Canaveral avec une charge très précieuse : celle d’une partie de la souveraineté européenne. Avec deux satellites Galileo prêts à s’activer à plus de 23 000 kilomètres de la Terre l’année prochaine, l’entreprise américaine venait prêter main forte au service de positionnement par satellite concurrent du Global Positioning System (GPS). Une deuxième mission, après un premier décollage au mois d’avril dernier.
Ces satellites, l’Europe aurait préféré les envoyer elle-même, en comptant sur le programme de la fusée Ariane 6. Mais ces dernières années, le budget de l’agence spatiale européenne (ESA) a d’abord été alloué au développement du nouveau lanceur. Désormais acheminé, le projet a permis de rediriger les fonds d’investissement vers Galileo, notre concurrent du GPS. Le lancement du 18 septembre était donc symbolique : l’Europe reprend du service sur son GPS européen, après avoir fini de bâtir Ariane 6.
La dépendance à SpaceX n’était donc que temporaire. Dès la fin de l’année, l’Europe pourra envoyer ses satellites Galileo avec sa propre fusée, Ariane 6. En profitant de l’entreprise américaine pour les lancements d’avril et de septembre, le GPS européen a surtout gagné du temps, dans une période particulière où le GPS américain est devenu la cible de la Russie, dans la guerre électronique. Galileo pourrait donc changer la donne, alors que le GPS montre des signes de faiblesse.
Né dans les années 1970 et devenu opérationnel en 1995, le GPS est menacé. Entre la Russie et le Moyen-Orient, on s’attaque de plus en plus au système dans certaines régions de conflit. Les cas de brouillage et de leurrages se multiplient, notamment dans la région des Balkans, en Pologne, ou au-dessus de la mer Noire. Un moyen de déstabiliser l’adversaire, en l’occurence l’Europe et l’OTAN, et peser problème dans certains secteurs d’activités tel que l’aéronautique.
En arrivant vingt ans après, dans les années 2000, Galileo a appris des erreurs du système américain et a réussi à proposer quelque chose de bien plus précis et de résilient. Lorsque le GPS situe à 10 mètres, Galileo pointe au mètre près. Quand la version militaire du GPS pointe au mètre près, le service équivalent de Galileo ne s’accorde une marge d’erreur que de 20 centimètres. Une prouesse qui n’est qu’au début de son histoire, alors que l’entrée en service de Galileo ne date que de 2016.
Galileo en 2024, une année clé
Les lancements Galileo reprennent
Pour faire fonctionner son système et monter en puissance à partir de 2018, Galileo a atteint le nombre de 24 satellites, déployés sur trois orbites différentes. Pour que chaque endroit sur Terre puisse profiter des services du GPS européen, quatre satellites traversent en permanence le ciel de n’importe quelle région du monde. Pour ce faire, les appareils suivent une orbite à plus de 23 000 kilomètres d’altitude, bien plus haut que ce que l’on s’est habitué d’entendre, notamment avec Starlink sur l’orbite basse.
D’ici peu, Galileo possèdera 27 satellites. Les deux astres envoyés en avril dernier viennent d’entrer en service, et ceux du 18 septembre débuteront leur carrière au début de l’année prochaine. Ils permettront au GPS européen d’avoir le nombre de satellites minimum pour son fonctionnement, mais aussi un bon nombre de satellites en sécurité, prêt à faire office de remplaçant à tout moment. Sur la constellation, certains satellites ont déjà 13 ans, et ont connu des pannes qu’il ne faudra pas sous-estimer.
Vers la deuxième génération de satellites Galileo
Avec Ariane 6, Galileo terminera l’envoie de ses satellites de première génération, avant de se lancer en 2026 dans le déploiement des « G2 », ses satellites de deuxième génération. Il reste à ce jour trois paires de satellites de première génération à envoyer d’ici deux ans, avant de passer à un lot de douze satellites de nouvelle génération. Ceux-ci seront plus lourds, mais aussi plus précis et plus résiliants.
Pour les concevoir, le GPS européen continue de faire appel à Airbus, Thales et sa filiale Thales Alenia Space. Le groupe d’électronique français a été chargé de concevoir des systèmes plus robustes, capable de détecter et de répondre à une cyberattaque. Mais plus que de simplement protéger les satellites, Thales a aussi été chargé de protéger les « segments sol », autrement dit le réseau de 16 stations de Galileo sur Terre, encore plus sensible aux cyberattaques que le système en orbite.
À Futura Sciences, le directeur de la cybersécurité des systèmes d’information chez Thales, Lionel Salmon, déclarait que l’objectif avait été de faire face à la « nouvelle menace des ordinateurs quantiques, capables de casser les algorithmes cryptographiques existants ». Parmi les pires scénarios possibles, le responsable français mentionnait évidemment l’interruption de service, qui « même un court instant, provoquerait une déstabilisation de l’économie et pouvant, dans le pire des cas, engendrer de graves accidents ».
Outre leur propulsion électrique et leur nouvelle antenne plus puissante, les satellites de seconde génération Galileo s’équiperont aussi d’horloges atomiques plus nombreuses « et encore meilleures », indiquait l’ESA, l’agence spatiale européenne. Mais pourquoi les équiper d’horloges atomiques ? Car tout le fonctionnement de Galileo se base sur le temps, pour sa géolocalisation. Pour déterminer la position d’un objet, tout est une question de temps et de distance.
En fonction de l’orbite des satellites et de la différence de temps entre l’heure d’émission et l’heure de réception du signal, les appareils au sol peuvent retranscrire leur position, et ce au niveau de précision mentionné plus haut. Le système se base sur quatre satellites : trois pour réaliser un calcul de trilatération, et un dernier pour veiller à ce que les calculs soient justes en se basent sur des horloges du temps parfaitement synchronisées, à la nanoseconde près.
4 milliards de smartphones avec Galileo
Il n’y a pas que dans sa constellation que la montée en puissance de Galileo est perceptible. Sur Terre, le nombre de récepteurs se multiplie. Si en 2019 nous comptions un milliard d’appareils compatibles, ils sont désormais plus de 4 milliards. Une augmentation radicale que l’on doit à une nouvelle directive européenne obligeant toutes les marques commercialisant des smartphones et autres appareils connectés en Europe à être compatible avec le GPS européen.
C’est ainsi que l’on compte de nombreux appareils, depuis l’iPhone X chez Apple, au Pixel 2 chez Google, et au Galaxy S10 chez Samsung. Aujourd’hui, leurs gammes entières sont compatibles. Pour connaître la compatibilité de son modèle, l’UE conseille de passer par l’application GPSTest, qui permet d’afficher tous les satellites connectés avec notre téléphone. Un moyen de voir les quatre fameux satellites de Galileo, et leur position dans le ciel.
La relation entre les satellites Galileo et les appareils au sol évoluera elle aussi, et ce d’ici quelques mois. Plutôt que de simplement obtenir leur géolocalisation, les appareils au sol pourront aussi recevoir des messages, tels que des alertes en cas de feu de forêt, d’inondations ou d’accidents industriels. Ensuite, en 2026, Galileo donnera aux bateaux et aux avions la possibilité de communiquer des messages de détresse, avec leur position, afin de prévenir les secours.
Un autre chantier de taille sera dans le transport aérien. Avec la démocratisation du GPS dans le guidage des avions, les plans de vol évoluent et sont de plus en plus à la carte, en fonction de chaque appareil et des conditions, permettant d’optimiser les trajectoires, économiser du temps et donc du carburant. Depuis l’arrivée d’EGNOS en 2011, ancêtre de Galileo, le secteur s’intéressait déjà au système, et plébiscitait notamment son intérêt pour des approches à guidage satellite, impossible avec le GPS tant il ne permettait pas d’obtenir un suivi suffisamment fiable pour le guidage vertical.
Galileo et la guerre électronique (qui menace le GPS)
Galileo et les signaux cryptés
Toutes ces avancées technologiques, Galileo pourra les tenir si et seulement si son système est résilient, dans un monde où la guerre électronique menace déjà le GPS. En 2023, le service européen a voulu faire ses preuves en testant une nouvelle solution de signaux cryptés, une série de tests à grande échelle d’un système d’authentification OS-NMA (Open Service – Navigation Message Authentification) contre le leurrage. Un nouveau mécanisme d’authentification, afin de vérifier que les informations transmises par le réseau Galileo soient bel et bien… transmises par Galileo.
Le programme du renforcement des signaux cryptés Galileo vise l’une des menaces les plus en vogue dans la guerre électronique. On l’appelle communément le « spoofing », et consiste en l’émission, à une puissance plus élevée, d’un signal pour supprimer le signal d’origine, tout en le remplaçant par un autre, afin de tromper les récepteurs et fausser la géolocalisation.
Pour que les appareils récepteurs puissent authentifier un signal Galileo comme étant vérifié, ils trouveront une signature électronique de la bande E1, du même message de données permettant de se géolocaliser. Une capacité d’authentification qui se repose sur un protocole plus ancien, baptisé TESLA (Timed Efficient Stream Loss-tolerant Authentication), nécessitant une faible bande passante pour transmettre des informations d’authentification.
L’urgence d’une combinaison avec le GPS américain
Sera-t-il suffisant ? Difficile de le savoir, mais une chose est sûre, l’urgence de protéger le GPS américain est devenue un enjeu majeur. À la fois pour l’Europe, pour sa souveraineté, mais aussi pour les Etats-Unis, qui aimeraient bien trouver une alternative au GPS et combiner les services pour les rendre plus résiliants. En 2019, le lieutenant colonel allemand Tim Vasen s’exclamait dans une revue du think tank Joint Air Power Competence Centre : « les avantages résultant de l’utilisation d’un plus grand nombre de fréquences ont été reconnus ».
Dans le cadre militaire, avec les bandes cryptées du GPS et de Galileo, le lieutenant colonel insistait sur le fait que « pour tirer parti des deux systèmes, il faut des récepteurs qui soient non seulement capables de recevoir les deux signaux et de calculer les données de navigation en parallèle, mais aussi capables de les combiner ». Une utilisation parallèle qui permettra aussi de détecter les cas de spoofing, « si l’un des signaux est falsifié, l’autre le détectera et avertira l’utilisateur ».
Cinq ans plus tard, le 19 juillet 2024, le National Space-based PNT Advisory Board tentait d’alarmer la secrétaire adjoint à la Défense, Kathleen HON Hicks. Dans un mémo de quatre pages, l’ancien amiral américain Thad William Allen critiquait la faible attention que la haute direction accordait aux questions sur le GPS, lors des 20 dernières années. « La dépendance excessive et continue de l’Amérique au GPS rend les infrastructures et les applications critiques vulnérables à une variété de menaces accidentelles, naturelles et malveillantes bien documentées », critiquait-il.
Pour renforcer son message, le document faisait la comparaison entre le GPS et son équivalent chinois, BeiDou, en félicitant ce dernier, pour s’être développé et rendu plus résilient. Un moyen de faire réagir ? Une réalité ? Pour le fondateur d’Amazon Jeff Bezos, il s’agirait surtout d’une belle opportunité pour à son tour, travailler sur un remplacement du GPS. C’est en tout cas ce qu’avançait au mois de septembre dernier le journal The Telegraph, après que le milliardaire a créé de nouveaux intitulés de poste à pourvoir pour son projet Kuiper.
Censé au départ concurrencer Starlink avec une constellation de satellites, Kuiper pourrait donc devenir un système de positionnement à l’instar du GPS, avec un nombre de satellites plus importants et plus fréquents, grâce à leur révolution autour de la Terre sur l’orbite basse. Avec un tel projet, Jeff Bezos viserait évidemment à empocher un contrat de taille et peser dans la sécurité nationale des Etats-Unis, mais aussi de l’OTAN, si Galileo ne porte pas ses fruits.
En 2017, une étude britannique estimait qu’à lui seul, le GPS pouvait coûter un milliard de livres sterling par jour au Royaume-Uni, en cas de panne générale… Un cas de black-out total, qui met en lumière toute l’importance du GPS, et de Galileo en 2024.
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