La Défense française se dote de « la plus importante capacité de calcul classifiée dédiée à l’intelligence artificielle d’Europe ». Dans un communiqué, le ministère des Armées et des Anciens combattants a annoncé avoir fait le choix pour ce projet hautement stratégique du groupement composé par Hewlett Packard Enterprise (HPE) et l’opérateur télécom Orange.
Ce supercalculateur sera livré à l’autonome 2025 et pleinement opérationnel fin 2025.
Situé au Mont-Valérien à Suresnes, il « permettra à la France de traiter souverainement de données confidentielles, pour le besoin des armées ainsi qu’aux entreprises de Défense ». Le ministère précise que « ce calculateur ne sera pas connecté à internet et sa maintenance sera réalisée par des citoyens français habilités au secret de la Défense nationale. »
HPC : la France déclassée ?
Pour la fourniture de ce supercalculateur, le ministre Sébastien Lecornu a donc tranché en faveur de l’américain HPE au détriment d’Atos, les deux compétiteurs en lice dans la phase finale. Mi-octobre, il avait évoqué à la commission de la Défense de l’Assemblée nationale, « une offre qui semble anormalement faible, et une autre dont on peut se poser la question si elle n’est pas anormalement forte ». Puis, « les deux réponses sont très différentes sur le délai, le prix, la performance et le staff mobilisé. »
Ce marché perdu est donc une nouvelle déconvenue pour Atos, ESN française qui, en pleine restructuration, accumule les déboires. Sur le papier, sa filiale Eviden pouvait se prévaloir du caractère souverain de son activité de calcul haute performance (HPC), hérité du rachat de Bull il y a dix ans. « Cette décision marque une opportunité manquée de créer une filière française, voire européenne, de l’intelligence artificielle », estime Stéphane Roder, directeur général du cabinet spécialisé AI Builders.
« Une fois de plus, les gouvernements successifs échouent à bâtir un cercle vertueux dans le domaine numérique, renchérit l’expert. Atos n’est pas le problème. Des entreprises comme Thales ou Safran auraient pu maintenir ce savoir-faire en France. Après avoir laissé passer la robotique et le cloud, nous sommes sur le point de perdre l’infrastructure de calcul. »
« En matière d’IA, pas de souveraineté pour l’instant »
Par anticipation, Sébastien Lecornu avait rejeté ce projeté en souveraineté. Toujours lors de son audition à la commission de la Défense, il a affirmé qu’« en matière d’intelligence artificielle, il n’y a pas de souveraineté pour l’instant », rapporte Les Echos d’après l’AFP.
L’argument se tient. Les processeurs graphiques (GPU) dédiés à l’intelligence artificielle sont tous produits par des entreprises américaines, à commencer par le leader Nvidia. De fait, les deux candidats de la short-list iraient, selon Sébastien Lecornu, « de toute façon s’approvisionner à la même source de GPU ». « Ce qui peut nous faire décrocher en matière de souveraineté, c’est de ne pas disposer très vite d’un supercalculateur », a-t-il rajouté.
Pour assurer ses besoins à moyen et long terme, le ministère va lancer un plan de politique industrielle sur les supercalculateurs en IA pour la Défense. « Ce partenariat pourra prendre plusieurs déclinaisons concrètes, comme de la recherche et développement sur les futures architectures de calculateur, la création d’une chaire de recherche commune ou le soutien à l’innovation. »
La stratégie du ministère prévoit aussi un écosystème de « 15 centres de la donnée et de l’IA au plus proche des opérationnels ». Par ailleurs, l’Agence ministérielle de l’intelligence artificielle de défense (Amiad) se renforce accueillant, dans les prochains jours, son centième ingénieur « en avance sur le calendrier prévu initialement. » Parmi les premiers projets en cours de déploiement par l’Amiad, on trouve l’agent conversationnel « Génial » Cet équivalent d’un ChatGPT de la Défense sera accessible à l’ensemble des agents du ministère d’ici la fin de cette année.