la NASA est-elle en danger ?

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Les mois précédant l’élection de Donald Trump, en tant que 46e président des États-Unis, Elon Musk rejoignait ses rangs, et s’inscrivait, petit à petit, parmi ses soutiens les plus influents, d’un point de vue financier, mais surtout médiatique. Si bien qu’aujourd’hui, le milliardaire à la tête de Tesla, SpaceX, Neuralink et du réseau social X s’est trouvé une place de choix au sein du futur gouvernement. Il sera responsable de créer un groupe chargé de couper les dépenses publiques jugées inutiles. Un rôle qui a de quoi plaire à de nombreux Américains convaincus que la présidence de Joe Biden a conduit à l’inflation, et faire peur à d’autres qui y verront une porte ouverte à plus d’automatisation, à l’intelligence artificielle et la compétitivité à tout va, entraînant des vagues de licenciements.

Pourtant, les motivations d’Elon Musk pourraient se nicher dans une industrie bien plus élitiste : l’aérospatiale. En effet, Donald Trump reviendra à la tête des États-Unis dans un moment clé pour le pays et son programme spatial Artemis, pour le retour des astronautes sur la Lune, et les ambitions futures d’une base lunaire, d’une station spatiale Gateway et d’un voyage vers Mars. Pour mener à bien les différentes missions, l’agence spatiale américaine, la NASA, compte sur le new space et ses entreprises privées bien plus qu’elle ne le faisait à l’époque d’Apollo 11. Mais malgré une participation de SpaceX, la NASA utilisera son lanceur lourd SLS (Space Launch System), et son vaisseau Orion, deux projets aux sommes colossales développés grâce à la dépense publique. Elon Musk pourrait faire pression, et forcer un changement radical : une retraite prématurée de la fusée de la NASA, dans la structure du programme Artemis.

© NASA

Le rôle de la fusée SLS dans le programme Artemis

Avant d’expliquer la menace qui pèse sur le lanceur SLS de la NASA, un petit rappel s’impose. Pour le retour des humains sur la Lune, lors de la mission Artemis III (prévu en septembre 2026), la NASA prévoit d’utiliser la fusée SLS pour propulser le vaisseau Orion en orbite lunaire. Contrairement à ce que l’on peut voir aujourd’hui dans l’actualité du spatial, avec le rattrapage inédit du lanceur Super Heavy de la fusée Starship, le colosse qui doit emporter les astronautes en direction de la Lune n’est pas signé SpaceX. Que ce soit pour Artemis III ou les prochaines missions en direction de la Lune, la NASA compte bien sur sa fusée SLS.

SpaceX n’est pas écarté pour autant, mais son rôle est aujourd’hui concentré sur le développement d’un atterrisseur lunaire, le Starship HLS, et des vols de ravitaillement. Une fois le voyage en direction de la Lune avec la fusée SLS et le vaisseau Orion, les astronautes se mettront en orbite autour du satellite naturel et viendront s’amarrer avec l’atterrisseur lunaire. Deux des quatre astronautes descendront avec Starship HLS en direction de la Lune, et les deux autres resteront à bord du vaisseau Orion. Après un séjour de six jours, l’atterrisseur lunaire retournera s’amarrer à Orion, qui se chargera du retour de l’équipage sur Terre.

Le rôle de la fusée SLS est donc très important. Lancé en 2011, son développement a néanmoins coûté plus de 6 milliards de dollars, occupant une part importante du budget de l’agence et se rapprochant du budget annuel aérospatial de toute l’Europe. Et son coût n’est pas prêt d’être amorti, puisque chaque lancement du SLS dépassera le milliard de dollars. En tant que fusée « la plus chère de l’histoire », difficile de ne pas tourner les yeux vers le new space et les entreprises privées. En ne dépendant plus seulement de l’investissement public, ces entreprises ont mis la réduction des coûts au centre de leurs priorités. Et SpaceX a démocratisé les fusées réutilisables.

La fusée SLS a 50 % de chances d’être écartée

Depuis quelques jours, l’hypothèse d’une fusée SLS remplacée par un lanceur SpaceX prend de plus en plus de place. Sur la plateforme X, le journaliste Eric Berger de Ars Technica, réputé pour être très bien renseigné et proche du camp Musk et des équipes de SpaceX, écrivait qu’il avait entendu dire « qu’il y aurait 50 % de chance pour que la fusée SLS de la NASA soit annulée ». Comprenez par là que face au coût exorbitant de ses lancements comparé à ceux des autres lanceurs, la SLS pourrait être écartée des missions Artemis. Une situation qu’Elon Musk voit certainement comme une opportunité pour donner davantage de travail à SpaceX et barrer la route à ses concurrents.

Chaque année, la NASA touche du gouvernement américain, 24 milliards de dollars. En prenant en compte le développement de son lanceur lourd SLS et du vaisseau Orion, en plus du coût de chaque lancement, l’agence spatiale américaine également un intérêt à passer par des entreprises privées comme SpaceX ou Blue Origin pour mener à bien ses futurs lancements en direction de la Lune. Un point souligné par le journaliste américain : « il y a d’autres moyens d’envoyer Orion vers la Lune ». La grande question reste tout de même de savoir comment. Car les Falcon 9 de SpaceX et New Glenn de Blue Origin ne font pas le poids, « à condition de multiplier les lancements pour installer Orion, l’étage de transfert, l’atterrisseur lunaire Starship et ses besoins en ravitaillement », indiquait le spécialiste de l’aérospatial Hugo Lisoir sur YouTube.

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Tout un symbole : en face de la fusée SLS de la NASA (à droite de l’image), une Falcon 9 de SpaceX, sur le site de lancement de Cap Canaveral en Floride © NASA

Il y a trois ans déjà, l’idée d’une fusée SLS obsolète face à SpaceX était discutée sur la toile, et notamment sur des forums spécialisés. Face au besoin d’envoyer plusieurs fusées au lieu d’une seule avec la SLS, un seul argument : « rien ne pourrait être réalisé avec le SLS qui ne pourrait être réalisé avec deux lancements de Falcon Heavy pour moins d’un dixième du coût », écrivait un internaute sur Quora. Quant à Starship, SpaceX et Elon Musk ont discrètement changé l’appellation du vaisseau pour la réduire au simple « Ship ». Un détail pour certains, mais qui pourrait en dire long : le Starship est en phase de devenir le vaisseau le plus avancé du marché, et le seul de sa catégorie. Ce n’est pas pour rien que pour le lancement du sixième vol avec Super Heavy, la priorité n’était pas de rattraper le lanceur une seconde fois sur son pas de tir, mais de faire redémarrer les moteurs de Starship pour préparer de futurs vols orbitaux, disposer d’un bouclier thermique efficace, et d’un système de récupération sur le pas de tir.

Dans sa vidéo, le vulgarisateur Hugo Lisoir tentait d’imaginer une solution intermédiaire pour la NASA, si ses nouveaux dirigeants choisissaient de s’écarter du lanceur. Il évoquait la possibilité d’une version revisitée du SLS, qui ne comprendrait cette fois-ci non pas les boosters de Northern Grumman, mais Super Heavy (SpaceX), monté avec l’étage de transfert et le vaisseau Orion de la NASA. Une solution temporaire pour réduire les coûts, et garantir l’efficacité des dépenses gouvernementales, dont l’investissement massif dans le vaisseau. Cela dit, une telle solution ne viendrait pas sans problème, car l’agence spatiale américaine a déjà commandé « suffisamment de boosters à poudre pour tenir jusqu’à la mission Artemis 9 », indiquait Hugo Lisoir.

L’hypothèse d’un isolationnisme trumpiste et d’une NASA à la sauce SpaceX

L’une des autres hypothèses se matérialiserait par la suppression pure et simple de l’ensemble de la fusée y compris la capsule Orion. Derrière cette idée, de grosses économies d’échelle, mais aussi un retour à la case départ dans le développement, et un signe clair de politique isolationniste. Pourquoi ? Car sur le vaisseau Orion, les partenaires industriels ne sont pas qu’américains. L’Europe est même très occupée avec toute une filière qui s’est installée, grâce au développement, chapeauté par Airbus Space & Defense, du module de service. Déjà en difficulté économique, l’industrie spatiale européenne perdrait ici sa seule possibilité de rejoindre le programme Artemis et emporter des astronautes sur la Lune.

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En dessous du logo de la NASA, sur la capsule Orion, le logo de l’ESA, l’agence spatiale européenne © NASA

En quatre ans, Donald Trump pourrait trouver un intérêt à écarter le lanceur SLS et le vaisseau Orion, d’un point de vue strictement politique. Côté investissement et technologie, le gâchis resterait considérable. Mais l’excuse des coûts de lancements, que ce soit pour le lanceur et le vaisseau, justifierait un tel changement de direction dans le programme Artemis. En complément, les résultats de la première mission de Orion, Artemis I, pourrait aussi servir de support. À son retour sur Terre, la capsule et son bouclier thermique ont subi la friction avec l’air, au cours de leur entrée atmosphérique à plus de 40 000 km/h et malgré l’absence de lourds dégâts, les quelques tuiles en moins suffisent pour remettre en question la sécurité d’astronautes à bord.

En attendant d’en savoir plus sur l’évolution des équipements utilisés pour le programme Artemis de la NASA, SpaceX continue de faire ses emplettes. Et ce n’est pas peu dire. Au sein de la NASA, SpaceX devient bien plus qu’un partenaire stratégique. L’entreprise spatiale privée d’Elon Musk remporte, mois après mois, de plus en plus de contrats avec l’agence spatiale américaine, au point de devenir centrale dans ses différentes missions. En plus de faire l’objet d’atterrisseur et de base lunaire pour Artemis III, Starship HLS se chargera de l’envoi du premier rover pressurisé de l’histoire, prévu pour 2032. Dès 2025, SpaceX partira déjà en direction de la Lune avec une Falcon 9 et un atterrisseur lunaire de Firefly Aerospace, et viendra désorbiter la Station spatiale internationale à la fin de la décennie.

Son concurrent Blue Origin se chargera, peu après, de l’envoi des premières fondations de la base lunaire, sur Artemis VII, après avoir fait ses preuves sur Artemis V et l’utilisation de son atterrisseur lunaire Blue Moon. L’illusion d’un nouveau marché qui laisse toujours ses chances à la concurrence ?

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© NASA

Les premiers signes que le nouveau ministère de « l’efficacité gouvernementale » aura des conséquences sur les entreprises d’Elon Musk apparaissent déjà. Jeudi 28 novembre, le co-dirigeant du cabinet, l’ancien candidat à la présidence américaine Vivek Ramaswamy, déclarait qu’il aller se pencher sur un prêt accordé par l’administration Biden à la marque Rivian. Pour l’aider sur un projet d’usine en Géorgie, 6,6 milliards de dollars auraient été contractés. En plus de pointer du doigt le coût exorbitant, l’homme déclarait que « cela ressemble davantage à un coup de semonce politique adressé à Elon Musk et Tesla. »

Sous une nouvelle présidence Trump, et avec Elon Musk parmi ses alliés, SpaceX devrait aussi pouvoir profiter d’un relâchement du côté de la FAA, le gendarme du ciel responsable du feu vert des missions spatiales. Longtemps freinée par la lenteur administrative, l’arrivée de Donald Trump à la tête de l’Etat pourrait être un moyen de concrétiser les 25 lancements que SpaceX aimerait pouvoir réaliser en 2025, rien qu’avec Super Heavy et Starship. Pour l’association à but non lucratif Project for Government Oversigh, la situation est grave. « Si Elon Musk dirige un département de l’efficacité gouvernementale ET ses propres entreprises – en particulier celles qui travaillent avec le gouvernement – il y a clairement des possibilités de conflits d’intérêts graves. Les fonctionnaires doivent se consacrer avant tout aux services publics ».

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