Avec un tel titre, qui rappelle une réalité dont on n’aime pas parler, ce billet pousse l’idée de l’apprentissage par l’échec.
Car les projets informatiques continuent d’échouer, et ne sont pas aussi fiables que des processus industriels. Et quand on monte d’un cran, à l’échelle de l’entreprise et plus du SI, la majorité des transformations digitales échouent. En 2016, une étude de McKinsey l’avait mesuré à 70 % d’échecs. Bien sûr, échouer n’est pas toujours couler l’entreprise. Heureusement ! On a cependant dans la majorité des cas un résultat beaucoup plus faible que ce qui avait été prévu. Donc financièrement un retour sur investissements sur quelques années décevant, même si avec le temps, il s’améliore.
Mais n’oublions pas que des exemples de sociétés qui ont mis la clef sous la porte après un changement de progiciel, ça existe. Même si cela reste l’exception. Par exemple, en 2011 la tentative de développement de Target, distributeur américain à bas prix, au Canada, reste un exemple très documenté d’un changement de progiciel catastrophique. Au final, Target Canada a fermé sa nouvelle filiale Canadienne quelques années plus tard.
En Europe en 2018 Lidl a stoppé un projet de 5 ans, sans pouvoir mettre en place sa nouvelle gestion de stock et remplacer son développement spécifique maison. Plus près de chez nous, et plus récemment en 2023, un autre distributeur à bas prix, GiFi, s’est pris les pieds dans le tapis avec le projet Millenium, à un moment où la concurrence se développait sur son marché. Résultat des pertes trimestrielles dès 2024, puis ce mois-ci un plan de sauvegarde de l’emploi au siège et la fermeture de magasins, pour remettre les finances à flot.
Ce projet n’est pas le seul responsable, mais son timing n’a pas aidé, et il réveille les DSI d’ETI (Entreprises de Taille Intermédiaire de plus de 5 000 personnes) en leur rappelant l’impact immédiat de leur SI dans les résultats.
Vous l’avez compris, le déploiement d’un progiciel, tel qu’un ERP (Enterprise Resource Planning) ou un CRM (Customer Relationship Management), constitue une étape charnière dans la stratégie de transformation numérique des organisations modernes. Pourtant, loin d’être un simple chantier technologique, ce type de projet est porteur de risques majeurs, souvent sous-estimés.
La séquence est généralement la même. On commence par des difficultés techniques, qui parfois ont une origine dans des besoins fonctionnels complexes ou des données à reprendre de mauvaise qualité. Ceci retarde le projet, puis la conduite du changement, quand elle a été prévue, et fragilise l’adoption. Erreurs à répétition et faible adoption, surviennent alors rapidement des perturbations opérationnelles dont découlent des impacts financiers.
En 2025, il est toujours risqué d’engager un projet majeur de remplacement d’un pan entier de son système d’information. Dans les grandes entreprises, un échec peu prendre du temps pour cicatriser, mais dans les ETI, aux ressources plus limitées, un échec peut être vite fatal.
Alors comment mettre toutes les chances de son côté ?
Pour GreenSI, il n’y a pas de nouvelle réponse miracle à cette question. L’analyse des échecs montre cependant que la difficulté technique est souvent connue dès le départ. Mais elle n’est pas nécessairement prise en compte comme un obstacle. Dans le cas de Lidl, une des difficultés techniques était l’acharnement à ne pas vouloir changer la méthode de calcul des marges au niveau d’un produit (pour ne pas impacter le management des magasins), alors que SAP Retail, la solution visée, les calculait différemment sur le stock global (LiFo, FiFo). Au final, l’adaptation de SAP Retail qui a été nécessaire a été très compliquée.
Un premier enseignement serait donc de tester la fragilité initiale du projet dès le départ. À chaque risque majeur, intégrer une ressource clef ou une démarche agile dédiée pour le gérer. Ici, l’agilité, c’est la capacité à itérer afin de ne pas aborder frontalement tous les risques majeurs. Elle réduit la complexité en réduisant les dépendances et le périmètre et en obtenant des validations successives.
Vous allez me dire que dans votre gouvernance SI, les fiches de lancement de projet, obligent habituellement à décrire les risques. Mais comme c’est aussi la fiche qui valide le budget, GreenSI n’est pas sûr qu’on y trouve autre chose que des risques techniques génériques et quelques « incantations » pour les mitiger. En revanche, si le risque est identifié au départ, adapté au contexte et à la transformation souhaitée, le projet se construit autour pour le gérer. On met en avant le chemin, et on l’adapte, avant la solution.
Et le premier de ces risques dont on parle peu, c’est le facteur humain !
Or le succès d’un projet de transformation repose autant sur la robustesse technique que sur l’adhésion humaine à la solution qui sera déployée. La préparation de cette adhésion se travaille dès la conception du projet avec la conduite du changement. Cette démarche fait du changement un objet de gestion, car on ne sait bien gérer que ce que l’on sait identifier et décrire : avant, c’était comme ça, maintenant, cela sera comme ça. Une fois identifié en amont, ce changement peut être accompagné avec la mise en place d’actions de communication, de la formation, du développement des compétences et des changements d’organisation.
La conduite du changement est fréquemment négligée, alors que des études montrent qu’elle a un retour sur investissement. Oui, dépenser pour communiquer et former rapporte (certains projets annoncent 15% !).
Comment ?
Lorsque les utilisateurs finaux ne sont ni informés, ni formés, ni accompagnés de manière proactive, les résistances se multiplient. Et le changement fait aussi chuter la performance avec les nouveaux outils déployés. Le déploiement engendre des erreurs, une utilisation inefficace de l’outil, et in fine, la déstabilisation des processus métiers.
Tout ceci à un coût.
Si un accompagnement réduit, voire supprime cette perte de performance, alors ne vaut mieux t-il pas dépenser en formation plutôt qu’en perte de productivité ?
C’est toute l’équation à résoudre pour la conduite des changements.
Et si la conduite du changement rate, c’est le début de l’engrenage, quand les difficultés techniques se combinent à une faible adoption des utilisateurs. Cela se traduit inexorablement par des perturbations majeures au niveau opérationnel. Dans le cas de GiFi, ce sont des ruptures de stocks en magasin et une perte de visibilité, qui ont entrainé une perte de chiffre d’affaires estimé à 9% par la revue spécialisée LSA. Le système d’information, censé fluidifier les processus, devient une source de dysfonctionnement au quotidien.
Pour GreenSI, la conduite des changements ne devrait donc pas être la dernière phase d’un projet une fois la solution construite. Elle a toute sa place en première phase pour mobiliser largement et très en amont, comme si la survie de l’entreprise dépendait de ce projet. Et c’est un peu le rappel du titre de ce billet.
Cette inversion de paradigme conduit alors à des projets plus agiles, pour réduire le risque et mieux ancrer le projet dans l’opérationnel et dans les équipes. L’approche est aussi particulièrement adaptée pour les ETI, où le terreau de collaboratif, impulsé par un Comité de Direction resserré, est souvent très fertile pour ce type d’approche de transformation.
Ainsi quand on présente un nouveau projet, ne devrait-on pas passer autant de temps sur l’humain que sur la technique :
- Comment on va impliquer les utilisateurs très en amont du projet ?
- Comment on va déployer des dispositifs de communication engageants ?
- Comment on va organiser des sessions de formation ciblées ?
- Quel est l’accompagnement sur le long terme pour garantir l’appropriation de la solution ?
La transformation numérique est un projet d’entreprise à part entière, où technique, humain et stratégie doivent avancer de concert pour prévenir les crises et assurer un retour sur investissement durable. Alors, vivez le comme s’il pouvait tout changer, pour le meilleur… ou pour le pire