La Chine annonce un renforcement de ses contrôles aux exportations sur les terres rares, des matériaux indispensables à la fabrication de matériel de défense, des voitures, des serveurs d’IA, et des smartphones. Ce nouveau durcissement acte un changement de stratégie de la Chine, en pleine négociation commerciale avec les États-Unis. Les nouvelles règles s’appliqueraient aussi à l’Europe, qui se dit « préoccupée ».
En amont d’une rencontre entre Donald Trump et Xi Jinping à la fin du mois, la Chine s’attaque à nouveau à ses exportations de terres rares, ces matériaux dont le pays est le premier exportateur au monde. Ce jeudi 9 octobre, Pékin a annoncé dans un communiqué un durcissement de sa règlementation sur ces composants indispensables à l’automobile, à l’IA, aux renouvelables et aux smartphones.
En avril dernier, la Chine avait déjà complètement interrompu les exportations de sept terres rares vers les États-Unis et les autres pays du monde, y compris l’Europe, en représailles aux droits de douane de Donald Trump. Ces nouvelles règles avaient entraîné des pénuries et avaient laissé craindre des arrêts dans les usines, y compris sur le Vieux continent.
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Mais en juillet, Pékin était finalement revenu sur ces mesures, avant de faire, ce jeudi, marche arrière.
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Car c’est, désormais, le retour au durcissement : Pékin ajoute cinq nouveaux matériaux dans la catégorie des biens soumis à des restrictions, dont l’holmium, l’erbium, le thulium, l’europium, l’ytterbium.
L’extraction, la fusion et le traitement des terres rares devront, dès le 1er décembre prochain, passer par un système de licence – des autorisations données au compte-goutte par le ministère chinois du Commerce. Des restrictions similaires ont aussi été annoncées sur les exportations d’équipements nécessaires à la fabrication de batteries pour voitures électriques.
L’industrie de la défense américaine visée
Pour rappel, la Chine est le premier exportateur mondial de ces « métaux rares » produits en très faible quantité, comme les lanthane, cérium, samarium, gadolinium, yttrium, néodyme, prométhium, praséodyme, erbium… – il en existe 17. Ces composants sont indispensables à la fabrication de semi-conducteurs, de matériel de défense (drones, robot, missiles), de l’aérospatial, des moteurs, des voitures, des serveurs d’IA, des éoliennes et des smartphones…
L’Agence internationale de l’énergie estime que la Chine représente environ 61 % de la production de terres rares au monde, et 92 % de leur traitement. Ce quasi-monopole donne à Pékin un poids considérable, déjà utilisé pour faire plier le Japon en 2010. Ces derniers mois, cette mainmise a aussi été utilisée dans le bras de fer sur les droits de douane qui opposent les administrations chinoises et américaines. Mais cette fois, la nouvelle restriction aurait une autre finalité.
L’objectif officiel serait de couper l’approvisionnement des industriels de la défense, qui dépendent aussi des terres rares provenant de Chine – y compris les Américains. Pour le ministère du Commerce chinois, les terres rares « d’origine chinoise, directement ou après transformation » ont été utilisées directement ou indirectement « dans des domaines sensibles tels que le militaire ». Cela a « porté gravement atteinte ou constitué une menace potentielle pour la sécurité nationale et les intérêts de la Chine ».
Résultat, les autorisations de vente de terres rares ne devraient plus être données aux fabricants d’armes. À partir du moment où les terres rares sont concernées, les entreprises chinoises ne pourront plus collaborer avec des sociétés étrangères, sans l’autorisation de Pékin.
Pourquoi un durcissement maintenant ?
Si la Chine veut davantage contrôler l’approvisionnement en terres rares des industriels de la défense dans le monde, elle veut surtout répondre aux différentes mesures prises par l’administration américaine à l’encontre de sa propre industrie. Dans son communiqué, Pékin explique adopter ces nouvelles mesures à des fins de préservation de la « sécurité nationale ».
Le même concept est brandi par Washington, pour justifier des restrictions similaires prises par les États-Unis contre la Chine. Depuis octobre 2022, le département américain au Commerce a mis en place un système de restrictions aux exportations destiné à couper l’approvisionnement, en Chine, de semi-conducteurs ou de machines de production de puces électroniques.
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Or jusqu’à présent, Pékin fustigeait ces règles extraterritoriales américaines, qui ont empêché des entreprises domiciliées dans des pays alliés des États-Unis (comme TSMC à Taïwan) de fournir à la Chine des puces les plus sophistiquées. Mais c’est désormais terminé : avec ce communiqué, la Chine adopte la même stratégie, en décidant de mesures extraterritoriales similaires.
Le timing de cette annonce est d’ailleurs loin d’être anodin. Elle intervient en amont de la rencontre prévue entre Xi Jinping et Donald Trump, à la fin du mois, en Corée du Sud. Elle répond aussi à un durcissement des restrictions imposées par Washington la semaine dernière : l’administration américaine a inclus les filiales de certaines entreprises technologiques chinoises déjà visées par des sanctions américaines, ce qui avait suscité l’ire de Pékin.
Un rapport du Congrès américain publié cette semaine préconisait aussi un durcissement, par Washington, des restrictions aux exportations sur les semi-conducteurs et les machines de production pour la Chine. Avec ce communiqué, Pékin souhaite peut-être prendre les devants, et frapper la première.
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L’Europe, victime collatérale de ce durcissement ?
En attendant, c’est l’Europe, autre grande dépendante des terres rares chinoises pour ses industries de l’automobile et de la défense, qui devrait être impactée par ces nouvelles restrictions aux exportations. Réagissant ce jeudi lors d’un point presse, Olof Gill, porte-parole adjoint chargé des questions commerciales, a expliqué que Bruxelles était « préoccupée » cette annonce, rapporte Politico.
« La Commission attend de la Chine qu’elle agisse en tant que partenaire fiable et qu’elle garantisse un accès stable et prévisible aux matières premières essentielles », a-t-il assuré. Sans ces matériaux, de nombreuses usines dans la défense, l’aéronautique, l’automobile ou les smartphones, y compris en Europe, pourraient être, au mieux, ralenties. Un scénario que l’Europe, prise en étau entre les deux plus grandes puissances commerciales au monde, veut à tout prix éviter.
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