Amnesty a enquêté sur les fils des utilisateurs adolescents de TikTok. L’association déplore que la plateforme entraîne les adolescents dans une « spirale » profondément nocive, malgré les signalements.
« TikTok inonde encore les écrans des ados vulnérables de contenus dangereux pouvant aller jusqu’à encourager l’automutilation ou le suicide », écrit Amnesty France dans un communiqué publié ce mardi 21 octobre sur son site. Voilà la conclusion d’une enquête, publiée par l’entité française d’Amnesty International, qui a cherché à comprendre ce que voyaient les adolescents français sur leur réseau social préféré. « Nos résultats sont sans appel : l’algorithme de TikTok continue de propulser des contenus dangereux, pouvant impacter la santé mentale des jeunes », écrit l’association, qui publie un rapport de 43 pages à ce sujet.
Cela fait longtemps que la plateforme préférée des Jeunes est accusée de nuire à la santé mentale des adolescents. Son algorithme rendrait le réseau très addictif. Il serait conçu pour que les enfants regardent le site le plus longtemps et le plus souvent possible avec ses notifications push, ses achats in-app et le fait que les vidéos défilent indéfiniment. Problème : si un compte manifeste un intérêt pour des contenus relatifs à la tristesse ou à un mal-être psychologique, il serait orienté vers des contenus dépressifs en moins d’une heure de navigation sur ce fil « Pour toi », explique l’ONG.
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En moins d’une heure, les ados exposés à des contenus dépressifs. En 3 heures, des informations sur les méthodes de suicide
Pour aboutir à ce constat, l’ONG a créé trois faux comptes d’adolescents de 13 ans. L’idée était de « faire défiler les vidéos du fil « Pour toi » pendant trois à quatre heures et regarder deux fois chaque contenu lié à la santé mentale ou à la tristesse. Sans rien liker, ni commenter, ni partager, juste regarder », décrit l’organisation. En moins de 20 minutes, le fil présentait des vidéos sur la santé mentale. « Après 45 minutes d’expérience, des messages explicites sur le suicide apparaissent. Trois heures plus tard, tous les comptes sont inondés de contenus sombres, exprimant parfois directement une volonté de mettre fin à ses jours », poursuit l’association.
Ce sont « des vidéos donnant une vision romanesque du suicide ou montrant des jeunes faisant part de leur intention de mettre fin à leurs jours, avec notamment des informations sur les méthodes de suicide » qui défilent, écrit l’antenne française. Or, ces contenus ont un réel impact sur les jeunes qui les regardent : « des témoignages de jeunes ayant pratiqué l’automutilation et de parents endeuillés révèlent les conséquences catastrophiques de ce fil sur la santé mentale et physique des adolescent·e·s mal dans leur peau », regrette l’ONG dans son rapport.
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Malgré les signalements, TikTok accusé de continuer à pousser des vidéos « qui romantisent le suicide ou qui exposent les ados à des contenus dangereux »
L’association publie plusieurs témoignages de victimes, à l’image de Maëlle, aujourd’hui 18 ans, qui explique avoir été plongée dans la « spirale » de TikTok. « Voir des gens qui se scarifient ou qui disent quoi prendre comme médicaments pour en finir, ça t’influence. Certaines vidéos sont encore imprimées dans ma rétine », déplore la jeune femme, citée par l’association.
Et si plusieurs alertes ont déjà été lancées, et que des textes comme le Digital Services Agreement (DSA) impose certaines obligations à la plateforme en termes de protection des mineurs, rien n’a changé, tacle l’association. « TikTok cherche à se défendre en ventant la mise en place d’un bouton « pas intéressé » ou l’existence de filtres de contenus par mots-clés. C’est insuffisant. Les vidéos qui romantisent le suicide ou exposent les ados à des contenus dangereux continuent d’être poussées par l’algorithme, malgré les signalements ».
Les autorités de régulation trop lentes
L’association regrette que « les autorités de régulation commencent bien trop lentement à s’attaquer aux préjudices causés par le secteur des géants technologiques, TikTok ne fait toujours rien pour remédier à son modèle addictif et à ses « spirales » nocives, faisant passer le profit avant la sécurité des enfants ». Les actions initiées sont pourtant nombreuses. En France, une plainte a été déposée après le suicide d’une adolescente, en septembre 2023. Un recours collectif a ensuite été initié en novembre 2024. Un rapport parlementaire a aussi été rendu en septembre dernier. En février 2024, c’est la Commission européenne qui a ouvert une enquête sous l’égide du DSA, le Digital Services Act. Aux États-Unis, la plateforme est également attaquée par plusieurs États américains pour ses impacts allégés sur la santé mentale des jeunes. Une procédure similaire a été lancée au Royaume-Uni, en mars dernier.
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Mais aucune de ces procédures n’a, pour l’instant, abouti. Le rapport d’Amnesty a donc pour fonction de « rassembler les témoignages de certaines de ces familles et jeunes victimes, et de présenter de nouvelles preuves qualitatives et quantitatives de la passivité persistante de TikTok face aux risques et préjudices de son modèle économique ». L’association demande d’ailleurs à la Commission européenne d’inclure son rapport « dans son enquête en cours sur les possibles violations par TikTok de ses obligations au titre du DSA et veiller à ce que cette enquête et la mise en œuvre de ses recommandations soient promptes et efficaces ».
TikTok assure proposer « de manière proactive une expérience sûre et adaptée à l’âge des adolescents »
Dans son rapport, Amnesty France s’adresse d’ailleurs directement à TikTok, lui demandant de « cesser de chercher à maximiser “l’engagement des utilisateurs et utilisatrices” aux dépens de leur santé et autres droits humains », et de « redonner le contrôle aux utilisateurs.rices pour qu’ils.elles puissent enfin choisir les contenus qu’ils.elles veulent voir ».
En parallèle, l’antenne française d’Amnesty International a saisi l’Arcom « pour porter plainte dans le cadre du DSA contre TikTok pour manquement à ses obligations », rapporte l’AFP, ce mardi 21 octobre. Interrogée par nos confrères, la plateforme a critiqué la méthode utilisée par l’ONG, qui ne tiendrait pas « compte de la façon dont les vraies personnes utilisent TikTok. Cette “expérience” a été conçue pour aboutir à un résultat prédéterminé », tacle-t-elle. Le réseau social a assuré proposer « de manière proactive une expérience sûre et adaptée à l’âge des adolescents ».
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