L’usine Huawei de Brumath, projet à 250 millions d’euros, n’accueillera probablement jamais ses 500 employés. Ce « site fantôme » serait même déjà en vente, selon plusieurs sources.
On la présentait déjà comme un futur fleuron pour Huawei en Europe, mais ce n’est aujourd’hui plus qu’une « usine fantôme ». L’immense site de Brumath, en Alsace, qui devait devenir la première usine de production de Huawei hors de Chine, gît à l’abandon. lors que la construction est à peine achevée, le géant chinois « ne répond plus ».
Estimé entre 200 et 300 millions d’euros, l’investissement était à la hauteur de l’ambition du géant chinois : 300 salariés et jusqu’à 500 à terme, avec une production annuelle chiffrée à 1 milliard d’euros. Le projet devait permettre à Huawei d’inonder le marché européen en équipements 4G et 5G. Aujourd’hui, le complexe high-tech de 52 000 m² est désespérément vide.
Un actif à 250 millions d’euros sur le marché ?
Alors, l’usine Huawei de Brumath est-elle officiellement à vendre ? L’entreprise garde le silence. Inutile de chercher un mandat public chez les géants de l’immobilier d’entreprise. Toutefois, en coulisses, l’affaire semble entendue.
Selon des « sources proches du dossier » citées par Ici Alsace, des « visites de l’usine ont déjà eu lieu par des repreneurs potentiels ». Le géant chinois n’aurait pas encore pris de décision définitive et serait en plein « questionnement » concernant son projet, mais une vente n’est pas à exclure. Signe qui ne trompe pas : les recrutements de cadres, qui avaient pourtant bien débuté, ont été stoppés net alors que le site devrait ouvrir en début d’année 2026.
À noter que la subvention de 800 000 euros votée par la Région Grand Est pour la réalisation de l’usine chinoise n’a pour sa part jamais été versée.
Comment le projet Huawei en Alsace s’est-il effondré ?
Ce fiasco n’est pas le fruit du hasard, il est le résultat d’une véritable tempête qui s’est abattue sur le géant chinois. Coincé dans un étau géopolitique, Huawei doit faire face aux effets dévastateurs des sanctions américaines depuis quelques années. Ces dernières perturbent ses activités en Occident, dont la vente de ses produits (absence de 5G, des services Google…) et de ses équipements télécoms. L’administration américaine a dégainé un arsenal de sanctions pour interdire à Huawei « l’utilisation de technologies et composants américains dans ses équipements ». Pour une usine destinée à produire de la 5G, c’est un coup d’arrêt quasi instantané.
En parallèle, les États-Unis ont fait pression sur les pays européens pour qu’ils ferment, eux aussi, la porte au géant de Shenzhen.
Un marché européen qui s’évapore
Face aux décisions de Washington, Huawei a quand même tenté de se tourner vers l’Europe et l’Alsace qui abrite déjà le siège du Parlement européen, à Strasbourg. Malheureusement pour le géant chinois, les pays européens ont plutôt suivi l’exemple américain en prenant des mesures radicales contre lui et son compatriote ZTE.
En juin 2023, la Commission européenne avait appelé les 27 pays membres de l’UE et les opérateurs télécoms à exclure ces deux sociétés de leurs réseaux mobiles. Plusieurs pays ont tourné le dos aux équipements 5G de Huawei et ZTE, dont l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Suède… et la France. Dans l’Hexagone, une « loi anti-Huawei » a même vu le jour, compliquant la situation du groupe et de certains opérateurs, même si Huawei n’a pas totalement disparu du paysage. Le député Vincent Thiébaut, qui suit le dossier, résume la situation : « le marché des antennes 5G se referme ». En conséquence, la part de marché de Huawei s’est écroulée, passant de 20 % à 13 %.
Un bourbier local : soupçons de corruption et d’espionnage
La géopolitique pourrait bien avoir tué le business model de l’usine, mais ce sont des scandales locaux qui auraient achevé de rendre le projet politiquement indéfendable.
Le Parquet national financier (PNF) s’est invité dans le dossier. Une enquête pour « atteinte à la probité » a été ouverte et Lilla Merabet, l’ancienne vice-présidente de la région Grand Est, se retrouve dans le viseur. La filiale française de Huawei a été perquisitionnée à son siège de Boulogne-Billancourt et le groupe s’est retrouvé au cœur d’un scandale de corruption au Parlement européen.
Ces affaires ont jeté un voile sombre sur le dossier, mais le plus étonnant est ailleurs : la localisation de l’usine chinoise.
Une localisation qui pose (gros) problème
En effet, l’usine de Brumath a été plantée à quelques kilomètres seulement d’unités ultra-sensibles de l’armée et du renseignement français.
On parle notamment du Centre du renseignement terre (CRT), basé à Strasbourg, et du 54e régiment de transmissions. Pour une entreprise constamment soupçonnée d’espionnage, le choix de cet emplacement a été perçu au mieux comme une naïveté, au pire comme une provocation. Ce « détail » avait suscité des craintes et interrogation dès 2020.
Huawei plie mais ne rompt pas : le pivot vers le cloud et l’IA
Il ne faut pas s’y tromper : ce fiasco à 250 millions d’euros ne signe pas la fin de Huawei en Europe. L’entreprise est en plein pivot stratégique.
Elle coupe ses pertes sur un actif physique (l’usine) très visible et politiquement toxique, pour mieux réinvestir sur des secteurs plus discrets et rentables : le cloud, l’IA et les solutions pour entreprises.
D’ailleurs, Huawei continue d’organiser des événements majeurs sur le continent, comme le Huawei Connect Europe 2025 ou un Enterprise Roadshow qui a fait étape en France en mars et juin 2025. Si les bénéfices 2024 ont chuté de 28 %, le chiffre d’affaires, lui, a bondi de 22 %. Bousculé, Huawei s’adapte et s’offre quelques fulgurances comme l’annonce du premier smartphone pliant en trois au monde.
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Source :
Le Monde