Les sources de l’Huveaune sont à sec. Et cela ne dérange pas du tout Jean-Claude Hoog, le premier adjoint (sans étiquette) du village de Nans-les-Pins (Var), d’où part ce fleuve qui déboule des contreforts de la Sainte-Baume pour aller se jeter dans la Méditerranée à Marseille. « Quand il n’y a pas d’eau, il n’y a pas de visiteurs ! », souffle l’élu, comme soulagé de ne croiser personne lorsqu’il crapahute le long de ces superbes vasques de tuf blanc, ombragées par des alignements de chênes.
Le 18 mars 2019, l’eau coulait à flots quand un photographe marseillais a posté sur sa page Facebook une dizaine de photos des sources. Cascades miniatures émeraude miroitant au soleil, vasques rendues bleu turquoise par les cyanobactéries du sous-bois… Des clichés irrésistibles, likés et commentés par des milliers de personnes, dont l’impact a traumatisé les habitants de ce village provençal de 4 700 habitants. « Dès le lendemain, on a vu arriver des centaines de personnes… C’était la ruée », se souvient l’élu.
Nans-les-Pins n’est pas la première commune à être débordée par l’irruption, sur les réseaux sociaux, de photos idylliques, particulièrement sur Instagram. Sur le réseau social frère de Facebook, le mot-dièse #huveaune recense 2 000 publications, l’immense majorité postérieure à mars 2019.
A cette époque, dans la foulée de la publication du photographe marseillais, des véhicules s’arrêtent à cheval sur la départementale 80, qui quitte le village en direction de la Sainte-Baume. Le parking de l’usine Sermax, dernier site avant les sources, est pris d’assaut. Et, au bord de la rivière, située en zone protégée Natura 2000 et au cœur d’une forêt domaniale gérée par l’Office national des forêts (ONF), chacun tente de se rapprocher des vasques, pour un selfie ou s’y tremper les pieds. Provoquant des dégâts irréversibles dans ces roches poreuses, façonnées par des milliers d’années de concrétions.
Champs de lavande
Etonnamment, les sources de l’Huveaune faisaient, jusqu’alors, partie des secrets bien gardés de la Provence verte. En mai 2021, selon les compteurs installés par le parc régional de la Sainte-Baume, près de 4 000 personnes ont visité les lieux ; dont 42 % avaient découvert les sources sur Internet ou par les médias.
Un arrêté municipal interdit désormais l’accès aux vasques et la baignade dans l’Huveaune, le cheminement hors des sentiers balisés et le stationnement anarchique. Un parking spécifique a été créé au cœur du village, avec fléchage jusqu’aux sources.
A quelques kilomètres de là, le plateau de Valensole (Alpes-de-Haute-Provence) connaît de longue date l’impact des réseaux sociaux sur la fréquentation touristique. Lumière dorée, champs mauve et vert piqués d’amandiers : ce haut lieu de la production de lavande en Provence n’a guère d’équivalent lorsque la floraison débute, en juillet. Connu jusqu’en Asie, il sert de décor à des posts Instagram, Facebook ou à des vidéos TikTok. Valensole sur Instagram ? 467 000 photos, représentant le plus souvent une femme de dos au milieu d’un champ de lavande, avec un chapeau aux bords larges.
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