Livre. Depuis l’Antiquité, philosophes et grands prêtres s’interrogent sur le propre de l’homme. Pour Daniel Cohen, la particularité de l’humanité serait de raconter des histoires, d’y croire et de bâtir avec des mythes sur lesquels se construisent des civilisations entières. L’économiste nous emmène dans un voyage passionnant et érudit des origines de l’humanité aux cauchemars technoscientifiques de la série Black Mirror.
« Nous sommes en train de nous arracher au poids des représentations que les sociétés agraires nous ont léguées. La parenthèse de dix mille ans où elles ont gouverné les vies humaines est en train de se refermer », écrit-il. Une manière d’enterrer Homo sapiens, du moins dans sa version néolithique, et de célébrer l’avènement d’Homo numericus.
On l’oublierait presque en cette rentrée agitée mais, il y a un an à peine, nous étions stupéfaits par l’explosion des activités numériques dopées par les confinements successifs. Il est devenu soudain anodin de faire ses achats en ligne, de travailler à distance ou de consulter son médecin depuis chez soi. Ce qui se passe n’est pas une brique de plus dans la longue construction de notre société industrielle, mais l’entrée dans un nouveau monde, celui que Daniel Cohen appelle « l’industrialisation de la société postindustrielle ».
« Solitaire, nostalgique, libéral et antisystème »
A l’instar de la révolution industrielle des XIXe et XXe siècles qui a créé la société de consommation par la fabrication en série des biens physiques, la révolution numérique procède de même avec les services, qui représentent aujourd’hui les trois quarts de notre économie et de nos emplois. Désormais, tout est fait en ligne pour réduire le coût d’activités aussi essentielles que se divertir, s’éduquer, se soigner, se nourrir et même se faire la cour. Pourquoi passer des heures dans des soirées et dans des bars pour chercher l’âme sœur quand un seul clic suffit sur Tinder ? En voilà de la productivité !
Pour Daniel Cohen, les algorithmes sont l’équivalent dématérialisé des chaînes de montage de Ford qui ont écrasé le prix des voitures à partir des années 1920. Au-delà, le numérique promet aussi la libération de la parole, la connaissance à portée de tous et la fin des hiérarchies et des obstacles sociaux de toutes sortes.
Mais il y a un problème. Derrière ces promesses d’Eden égalitaire et libertaire surgit la menace de la déshumanisation. « Pour générer du rendement, le numérique dématérialise les relations humaines, les prive de leur chair. » Une psyché taylorisée qui transforme l’Homo numericus en un être de plus en plus seul, impulsif et irrationnel (le rationnel est pris en charge par les algorithmes). Tenté de reconstruire du collectif à travers les réseaux sociaux, il se trouve insidieusement enfermé dans des communautés partageant les mêmes intérêts mais aussi, souvent, les mêmes obsessions et croyances. Le nouvel homme est devenu « solitaire, nostalgique, libéral et antisystème ».
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