Après plusieurs semaines de pression, l’entreprise américaine Cloudflare a finalement annoncé, samedi 3 septembre, sa décision de bloquer le forum baptisé Kiwi Farms quelques jours après avoir expliqué qu’elle n’avait pas l’intention de le faire. Kiwi Farms est à l’origine d’une vague de harcèlement visant la streameuse canadienne et activiste transgenre Clara « Keffals » Sorrenti, laquelle a été obligée, devant la violence des attaques la visant, de fuir sa propre maison.
La société a bloqué l’accès au contenu de Kiwi Farms par le biais de son infrastructure après une surenchère rhétorique et des « menaces précises et ciblées » au cours des dernières quarante-huit heures, a déclaré son directeur général dans un communiqué. Matthew Prince a également ajouté :
« C’est une décision extraordinaire à prendre pour nous et, compte tenu du rôle de Cloudflare en tant que fournisseur d’infrastructure Internet, une décision dangereuse avec laquelle nous ne sommes pas à l’aise. »
Bien que nous croyions « qu’il aurait été approprié en tant que fournisseur d’infrastructure pour nous d’attendre une procédure judiciaire, dans ce cas, la menace imminente et urgente pour la vie humaine qui continue de s’aggraver nous amène à prendre cette mesure », a ajouté Matthew Prince.
Des utilisateurs encore plus agressifs après la campagne
Les utilisateurs du site sont devenus encore plus agressifs après la campagne Internet visant à faire pression sur les fournisseurs de services pour qu’ils le bloquent, a déclaré le directeur général de Cloudflare, ajoutant qu’au cours des deux dernières semaines la société a contacté les forces de l’ordre de plusieurs juridictions au sujet « d’actes criminels potentiels et de menaces imminentes pour la vie humaine qui ont été publiés sur le site ».
Tout a commencé le 5 août, lorsque Keffals, qui s’est fait connaître sur la plate-forme Twitch avec des streams de jeux vidéo, est victime d’un swatting. Cette pratique consiste à faire croire à la police que des événements graves se déroulent à l’adresse de la victime, de façon que les forces de l’ordre et plus particulièrement le SWAT (le GIGN américain) s’y rendent. Keffals s’est ainsi retrouvée sans raison tenue en joue à son domicile de London, dans l’Ontario, et « mégenrée » à de nombreuses reprises – le message anonyme ayant mis la police sur sa piste ayant volontairement utilisé son ancien état civil.
Après avoir raconté cette première épreuve dans une vidéo postée le 9 août sur YouTube, la vidéaste et son fiancé font l’objet d’une deuxième attaque, leurs harceleurs ayant réussi à identifier l’hôtel dans lequel ils se sont réfugiés grâce à une simple photo de leur chat sur un lit. Depuis, comme le raconte Clara Sorrenti dans une deuxième vidéo publiée le 18 août, le couple vit « dans un lieu tenu secret ». Elle y accuse les membres du forum Kiwi Farms, considérés par le New York Magazine comme « la plus grande communauté de harceleurs sur le Web », d’avoir rendu son adresse publique – une pratique connue sous le nom de doxing. Elle révèle aussi faire l’objet d’une campagne de haine « depuis plusieurs mois » et dit « craindre à l’avenir une escalade dans la violence à [s]on endroit ».
« Coup dur à Kiwi Farms »
Les origines de Kiwi Farms remontent à 2007 sur 4Chan. Les membres de ce forum ont pour spécialité de se moquer, de harceler en meute et de pousser à bout des internautes, en particulier les personnes transgenres, en surpoids ou atteintes du syndrome d’Asperger. Au moins une personne prise pour cible par Kiwi Farms s’est suicidée en 2016, rappelait, à l’époque, le New York Magazine. Les membres du forum ont décliné toute responsabilité et continué, depuis, à harceler de nombreuses personnes qu’ils considèrent comme « excentriques ».
Utilisant notamment sur Twitter les hashtags #DropKiwiFarms, #TimesUpCloudFlare et #CloudflareProtectsTerrorists, Keffals et ses soutiens ont appelé Cloudflare à cesser de proposer ses services à Kiwi Farms. Après être restée silencieuse pendant une dizaine de jours, Cloudflare a fini par réagir dans un post de blog, le 31 août. Sans y citer le cas de Keffals ni aucune autre affaire en cours, Matthew Prince et Alissa Starzak, respectivement PDG et responsable des affaires publiques, y détaillaient par le menu la politique de leur société en matière d’abus, réaffirmant une neutralité qu’ils ont toujours revendiquée :
« De la même façon qu’un opérateur téléphonique ne supprime pas votre abonnement parce que vous avez dit des choses horribles, racistes ou sectaires, nous avons conclu (…) que vous empêchez d’accéder à nos services parce que nous considérons que ce vous publiez est ignoble n’est pas la bonne manière de procéder. »
Au cours des dix dernières années, Kiwi Farms a été liée à de multiples attaques de doxing ou de swatting. Au moins deux personnes se sont suicidées après avoir été ciblées par des utilisateurs de Kiwi Farms, selon des messages des victimes elles-mêmes ou d’amis cités dans des reportages.
Dans un communiqué publié samedi, Clara Sorrenti a déclaré que cette décision « porte un coup dur à Kiwi Farms et à [sa] communauté ».
« Cependant, ce n’est pas la fin. Si nous voulons voir la fin de Kiwi Farms et des communautés comme la leur, nous devons continuer à nous battre. »