Je suis devenu espion en 2007. J’avais 28 ans, j’étais parti en Angleterre pour apprendre la langue, lorsqu’une amie m’a proposé d’aller travailler à Jersey dans la finance. A l’époque, il n’y avait pas de livres ni de documentaires sur la finance offshore, c’était un milieu extrêmement secret. J’ai rejoint le plus gros cabinet d’avocats de l’île, Mourant, en tant qu’administrateur de fonds. Au bout de quelques semaines, je me suis proposé comme bénévole à la DGSE. J’ai travaillé cinq ans avec eux, jusqu’en 2012, dans le plus grand secret.
Ce n’était pas la première fois que je dénonçais une fraude financière, je m’y étais déjà frotté à 22 ans, à Tahiti. Je travaillais alors pour une petite ferme perlière détenue à 50 % par le père de ma petite amie et je m’étais vite rendu compte que quelque chose clochait : il y avait une grosse différence en matière de flux financiers entre ce que disaient mon beau-père et l’actionnaire polynésien, propriétaire de la ferme. Ce dernier n’avait pas accès à une partie du profit. Je rêvais d’aventure, j’étais tombé dans le postcolonialisme, et ça m’a choqué. J’ai informé l’actionnaire polynésien. La première réaction de la personne à qui on dévoile la fraude consiste à considérer que c’est presque de la faute du messager.
La colère a duré quelques jours, puis l’actionnaire polynésien est revenu me voir. Il voulait savoir comment agir. Je l’ai conseillé juridiquement, tirant profit de mes études de droit, pour qu’il mette un terme au partenariat avec son associé. Mon beau-père m’a traité de tous les noms. Mais j’ai acquis une réputation de type loyal dans le monde de la perliculture. J’ai quitté la Polynésie après cet épisode et n’y suis jamais retourné, mais je garde de très bons amis sur place, avec qui je suis toujours en contact.
Vol de données
A Jersey, je transmettais toutes sortes d’informations aux renseignements : listes de responsables informatiques de nos clients, adresses e-mails des responsables, identifiants, types de logiciels utilisés dans les différentes compagnies, informations financières et comptables de deals, noms et informations sur les clients utilisant le paradis fiscal, repérage de profils d’autres Français susceptibles de devenir, à leur tour, espions sur l’île.
« J’avais l’impression que les informations que je fournissais ne profitaient pas aux salariés, mais uniquement aux plus puissants »
Il m’est arrivé d’avoir peur. Une fois, après avoir communiqué une base de données, les services d’impôts de plusieurs pays européens ont effectué une descente quasi simultanée aux sièges de la plupart de nos clients. Un branle-bas de combat général a secoué les murs de Mourant : la direction soupçonnait la présence d’une taupe, et j’étais sur la liste des suspects. J’ai été convoqué par mes supérieurs. Ils m’ont demandé ce que je pensais de la finance, je leur ai récité le catéchisme qu’ils voulaient entendre. Ça m’a sauvé.
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