Sur un quai de gare de la petite ville de Tinglev, au Danemark, un couple s’étreint sous la neige, tandis qu’un accordéoniste accueille les derniers voyageurs d’un train en entonnant une chanson festive. Gerda : A Flame in Winter vient à peine de commencer, mais donne déjà de fortes raisons de penser que ce moment de tendresse ne durera pas : d’abord via la date qui s’affiche à l’écran (« décembre 1939 », soit quelques mois avant que les troupes nazies occupent le pays), puis au travers de la direction artistique générale du jeu, inspirée par les peintures du groupe d’artistes scandinaves Skagen, empreintes de mélancolie. Dernier indice, ce jeu sorti le 1er septembre sur Nintendo Switch et PC est le tout premier édité par Don’t Nod (sans qu’il participe à son développement, assuré par PortaPlay), un studio qui s’est bâti une solide réputation au cours de ces dernières années avec des jeux narratifs riches en débordements lacrymaux, comme Life is Strange et Tell Me Why.
Les minutes suivantes le confirment : Gerda raconte l’histoire d’une jeune infirmière d’origine allemande et danoise, dont le mari résistant vient d’être arrêté par la Gestapo. Si les premières décisions qu’elle doit prendre s’avèrent plutôt triviales ( « Faut-il mettre le sucre durant la cuisson de mon porridge ou à la toute fin ? », « Dois-je laisser mon père porter mes valises ? »), elle se trouve vite confrontée à une myriade de choix cornéliens, qui la pousseront tantôt à protéger des inconnus dans le besoin tantôt à concentrer ses efforts sur ses proches.
Le choix de Gerda
En termes de gameplay, Gerda ne réinvente pas la poudre : il reprend les codes du jeu narratif, qui impose de choisir des options de dialogue et d’interagir avec quelques points d’intérêt, avec quelques éléments de jeu de rôle (RPG). Le jeu montre également rapidement des limites : le doublage est cantonné au minimum, des boucles de musique surviennent parfois de manière assez brutale et les éléments RPG manquent un peu de profondeur.
Reste qu’au-delà de ses défauts et de ses mécaniques classiques Gerda brille par ses apports historiques : son récit est fondé sur la vie de la grand-mère du directeur créatif du jeu, Hans Von Knut, qui a fait partie de la résistance danoise durant la seconde guerre mondiale. Dans le journal de Gerda, on peut entre autres trouver des informations sur les sabotages ferroviaires, des traditions culinaires typiquement danoises ou encore des règlements relatifs au black-out imposés par les nazis pour éviter les frappes aériennes.
Et la véritable force du jeu réside dans la narration, les choix faits par Gerda et les points de vue qu’elle consigne dans son journal intime, et en fonction desquels le personnage peut notamment choisir de valoriser sa perspicacité, sa compassion ou son intuition. Ses décisions peuvent ainsi modifier son rapport avec les membres de la résistance, les Danois, les Allemands et les occupants nazis, et lui permettre de débloquer certaines actions – par exemple, par des jets de dés dont les chances de résultat varient selon ses relations avec différents personnages. Doit-elle par exemple sacrifier les derniers antalgiques qu’il lui reste pour soigner un soldat nazi ? Faut-il faire preuve de compassion envers sa cousine, qui officie en tant que secrétaire pour le chef de la Gestapo, dans l’espoir de glaner quelques informations pour porter secours à son mari ?
Nuances de gris
A mesure que le jeu avance, Gerda se rend vite compte qu’elle ne peut aider tout le monde et se trouve face à des décisions de plus en plus radicales : à certains moments de sa journée, elle doit choisir les endroits dans lesquels elle souhaite se rendre – le marché noir, où elle pourrait récupérer des objets de contrebande qui lui seront sans doute utiles plus tard ; une planque où se trouvent une femme et sa petite fille qui a besoin d’une attention médicale ; ou encore l’usine où comptent s’infiltrer des résistants qui lui ont expressément demandé de l’aide. Chaque choix permet d’aboutir à l’une des fins du jeu – qui survient après un peu moins de six heures –, où rien n’est jamais tout noir ou tout blanc.
« Nous ne cautionnons ou n’excusons jamais les actions du régime nazi, ni ceux de ses collaborateurs, ni même ceux des personnes qui ont plié les genoux pour tenter de survivre », confiait le développeur Shalev Moran au site The Loadout. « Mais nous pensons qu’il est crucial de voir toutes ces personnes comme humaines, faute de quoi nous ne nous rendons pas nécessairement compte du mal que nous sommes susceptibles de commettre. » Gerda offre un récit de guerre tout en nuances, et montre que les choix peuvent continuer de nous hanter – même après la barbarie.
L’avis de Pixels
On a aimé :
- Les choix proposés par le jeu, qui ne paraissent jamais trop évidents
- Les informations historiques disséminées dans le journal de Gerda
- La direction artistique, en adéquation parfaite avec le récit du jeu
On a moins aimé :
- L’enrobage trop épuré du titre
- Les mécaniques un brin répétitives
- Les éléments de RPG, un peu trop superficiels
C’est plutôt pour vous si :
- Vous aimez les jeux narratifs courts et intimistes
- Vous avez envie d’en savoir plus sur le Danemark en période d’Occupation sans avoir à consulter Wikipédia
Ce n’est plutôt pas pour vous si :
- Vous avez envie de prolonger l’été avec du soleil et un récit léger
- Vous n’aimez pas la formule Don’t Nod
La note de Pixels :
Trois dilemmes cornéliens sur cinq