Quatre mois de prison avec sursis et 3000 euros à verser à la partie civile pour l’un, huit mois avec sursis et 6000 euros pour le second, plus les frais d’avocats. L’addition – 12000 euros en tout – de la 13e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris est très salée pour Cyrille et Nicolas, deux anciens joueurs sur Paladium, un serveur de jeu Minecraft très populaire créé par Fuze III, un youtubeur spécialisé sur ce célèbre jeu en ligne.
Mais pourtant, après quatre heures d’audience, ce jeudi 15 février, on peine à comprendre les raisons de l’embrouille qui vaut désormais aux deux vingtenaires une condamnation après ces poursuites pour piratage informatique pour le premier, pour entrave aux mécanismes permettant le blocage de l’apologie du terrorisme pour le second.
Soit le motif précis de ce mécontentement “existe, mais il est trop honteux, soit il est tellement futile qu’il a été oublié et cette activité de troll est devenue une fin en soi”, résume le substitut du procureur Paul Simon dans ses réquisitions. Le magistrat penche plutôt pour la seconde hypothèse.
Flamme ravivée
“Moi, je n’en voulais pas à Paladium”, marmonne ainsi Cyrille, un ancien modérateur qui avait quitté l’équipe des bénévoles à la fin de l’année 2021. Nicolas, un étudiant en informatique, avait également été l’un des modérateurs de Paladium, avant de partir après s’être moqué dans une vidéo d’un administrateur. “C’était du second degré”, explique sans convaincre ce grand échalas.
Avant enfin d’évoquer un différend entre un modérateur démis de ses fonctions et la compagne d’un des administrateurs, une sombre histoire qui aurait alors provoqué “l’entrée en guerre d’AbfAl”. C’est cet inconnu peu reluisant qui “a ravivé la flamme” de sa rancoeur contre Paladium. “Il est très antisémite. A la moindre contrariété il part en guerre”, détaille Nicolas, qui assure avoir été lui aussi menacé par cet internaute qui prenait bien garde à ne pas dévoiler son identité.
A l’été 2022, l’obscure brouille dégénère. Paladium est alors victime d’attaques en déni de service et de raids contre son serveur Discord. Ses utilisateurs sont visés par des messages faisant l’apologie du terrorisme ou pornographiques. La société Fuze III sera également victime d’un swatting, ces appels malveillants destinés à provoquer une intervention policière chez un tiers.
Survie de l’entreprise
Autant de comportements malveillants et toxiques, un problème courant dans le jeu vidéo déjà dénoncé, qui déstabilise l’entreprise. Fuze III, qui emploie cinq salariés, voit le nombre de ses joueurs fondre de 300 000 à 80 000. “C’est la survie économique de la société qui est en jeu”, avertit l’avocat de l’entreprise, David Bachalard.
Si l’un des auteurs de ces attaques a déjà été jugé, les cas de Cyrille et Nicolas étaient eux toujours en suspens. Leurs rôles sont cependant bien distincts. Le premier avait découvert à l’été 2022 une faille dans le serveur de messagerie de Fuze III. “En voulant faire de l’auto-hébergement pour son propre compte, j’ai découvert que le service open source utilisé ne protégeait pas l’accès au fichier de configuration”, explique ce jardinier paysagiste qui vit pas très loin de Lille.
Mais au lieu de signaler la vulnérabilité, il va faire main basse sur les identifiants de l’administrateur, avant ensuite de télécharger la base de données – des adresses de messagerie des joueurs et leur mot de passe chiffré – et de l’envoyer à des proches. “Pour moi, ce n’était pas comme si c’était des informations hyper confidentielles”, se défend-il, avant également de concéder “un petit bug”: il n’avait pas activé son VPN “tout de suite”.
Messages haineux
Nicolas est lui accusé d’avoir participé à des raids Discord coordonnés depuis des groupes privés. Après avoir réussi à obtenir la liste des utilisateurs du serveur Paladium sur cette messagerie, un procédé pas répréhensible en soi, le jeune homme créait des comptes jetables à la volée pour spammer en message privé les internautes.
L’un des messages haineux envoyés par la bande est projeté dans la salle d’audience. “Le cauchemar ne fait que commencer”, “nous n’aurons pas de pitié pour vous”, “vous êtes en guerre”, peut-on lire avant d’apercevoir une photo d’une décapitation effectuée par des terroristes de l’Etat islamique. Un autre message accuse l’un des développeurs d’être “un violeur pédophicle caché des frères musulmans”.
A la barre, Nicolas, très poli, ne sait plus exactement quels sont les messages qu’il a envoyé: il utilisait des pseudos jetables dont il ne se souvient plus. “Ca, c’est un pénis trouvé sur Internet, il y a des dessins dessus pour que cela passe les filtres de Discord”, explique-t-il par exemple au tribunal.
« J’étais un peu con »
“C’était un contexte spécial, une guerre complètement délirante, j’ai participé à ça au début parce que j’étais un peu con”, s’excuse-t-il. Les juges ont l’air toutefois moyennement convaincus. La police a par exemple retrouvé dans son ordinateur un stresseur, un outil servant à tester la robustesse d’un réseau utilisé dans le cadre d’attaques en déni de service – Nicolas n’est toutefois pas poursuivi sur ce point.
“Vous comprenez qu’on puisse s’interroger sur la réalité d’AbfAl?”, demande également l’un des magistrats. Un soir, l’un des administrateurs de Paladium est en effet contacté successivement par le mystérieux AbfAl et Nicolas. “Pour moi c’était la même personne”, assure-t-il au tribunal: la même voix et surtout… la même adresse IP.
“On a des exemples de conversations entre eux” dans la procédure, rétorque son avocat, Léopold Heller. Il aurait donc fallu être bien machiavélique pour simuler pendant des années des discussions. “Mais rien ne vous empêche d’avoir un compte Discord différent sur deux téléphones”, répond le représentant de Fuze III. Un point qui reste à l’issue de l’audience finalement aussi flou que les raisons de la brouille.