À quand un OS numériquement responsable ?

À quand un OS numériquement responsable ?


S’il y a bien une tendance qui s’est renforcée dans la crise traversée depuis 18 mois, c’est bien la plus grande prise en compte de la responsabilité environnementale des activités humaines.

Et dans cette tendance, qui touche toutes les industries, l’informatique n’est pas à la traine, comme le faisait remarquer le billet d’octobre dernier posant la question de l’informatique durable et mettait le projecteur sur l’action législative à venir de l’État pour aller au-delà des incantations à rendre le numérique responsable.

Que ce soit dans la téléphonie, ou dans l’informatique, la maîtrise du renouvellement des terminaux est un des leviers d’action, car l’impact carbone d’un terminal n’est pas lié qu’à son utilisation, mais aussi à sa fabrication. L’allongement de la durée de vie des terminaux est donc généralement l’action n°1 ou n°2 de tous les plans verts des DSI.

En effet, bourrés d’électronique, ils regorgent de terres et métaux rares. Allonger leur durée de vie fait que mécaniquement on épuisera moins les réserves naturelles limitées de ces matériaux, et les recycler en fin de vie également. Le Shift project, montre par exemple la décomposition de l’impact environnemental du numérique dans le schéma ci-dessus.

Les terminaux (incluant écrans, imprimantes, …) pèsent de plus en plus dans une informatique de plus en plus distribuée. Le développement des objets connectés et l’Edge va encore plus renforcer cette tendance. 

Parmi ces terminaux, les experts estiment qu’il y a 1,2 milliard de PC sous Windows, dont certainement encore quelques centaines de millions sous Windows 7, même si la majorité est sous Windows 10. Ce chiffre baisse après un pic en 2014, mais reste néanmoins remarquable, a tel point qu’il a fait dire en 2016 à Satya Nadella, le PDG De Microsoft que «Le fait qu’il y ait 1,5 milliard d’utilisateurs de Windows est incroyable. C’est une grande responsabilité qu’aucun d’entre nous chez Microsoft ne prend à la légère».

C’est donc dans ce contexte qu’il faut analyser l’annonce le 24 juin dernier par Microsoft de lancer Windows 11 en octobre prochain.

GreenSI avait compris lors du lancement de Windows 10, après le cahot du lancement des versions 7 (qui a eu du mal à remplacer le formidable XP), puis la version 8 avortée et la version 9 abandonnée, que version 10 était la dernière version de Windows. Ensuite on ne parlerait plus que de mises à jour. Mais visiblement Microsoft a revu sa stratégie.

La mise à jour en Windows 11 sera gratuite, il n’y a pas de licence, mais elle aura un coût pour tout le monde et notamment pour ses clients entreprises. Ils vont devoir relancer des projets couteux de mise à jour d’un socle technique qui n’amène plus de valeur, mais qui fait la loi sur la compatibilité de ce qui peut tourner ou se connecter à un PC.

Mais ce billet s’intéresse à un autre coût, le coût environnemental.

Windows 11 ne sera pas compatible avec tous les PC. Il faudra impérativement être compatible avec la technologie TMP qui oblige un composant hardware préinstallé sur le PC.

Une information qui aurait pu passer inaperçue à côté des autres annonces importantes pour la planète comme : un bouton « Démarrer » centré ! Waouh, comme Apple !

Et puis on remarque surtout, dans ce nouvel OS, la mise en avant de Teams par défaut dans la barre de tâche. Certainement afin d’essayer de gagner la bataille de la collaboration, relancée par la crise sanitaire, et la croissance des concurrents comme Zoom ou l’open source qui deviennent dangereux. GreenSI pari que la DG Concurrence de l’UE va regarder cette fonction, cela prendra 4 ou 5 ans à la vitesse de nos juridictions, et ce sera toujours ça de gagné par Microsoft, avant d’être contraint de retirer cette fonctionnalité certainement anti-concurrentielle ou de l’ouvrir aux autres plateformes par défaut. 

Mais ce communiqué brille surtout par l’absence des mots « environnement », « durable » ou « écologie ».

Est-ce que Microsoft aurait lancé Windows 11, visant à remplacer le système d’exploitation de 1,2 milliard de  PC sur terre, sans se poser la question de l’impact environnemental de son geste ?

Pourtant, Microsoft attache de l’important à la communication environnementale et a annoncé un plan pour être « carbon negative » en 2030. Et d’ailleurs son rapport « Sustainability » mentionne bien que « le logiciel est un important facteur qui peut influencer la durée de vie des usages clients. Microsoft étend cette durée de vie au travers du firmware et de mises à jour de Windows 10, permettant de continuer d’utiliser d’anciennes générations d’équipements ».

Mais toute la question de ces engagements environnementaux est celle du périmètre.

Si l’impact de la mise à jour de Windows oblige les clients à changer de machine, le surcoût carbone pour la planète associé à ce changement n’est pas dans le périmètre de Microsoft, mais bien dans celui de ses clients. Le seul engagement qui serait vraiment fort pour Microsoft, fournisseur de technologie, serait celui de réduire les émissions de ses clients qui utilisent ses produits.

L’étude « Big Tech & Climate Policy » de janvier 2021, arrive à cette conclusion en montrant les « Big Techs » ne sont pas mauvaises dans leur score environnemental, et même meilleures que l’industrie pétrolière par exemple. En revanche ils influencent très peu la réglementation environnementale, alors que leur influence sur le Monde dans ses usages est énorme.

Avec Windows 11, GreenSI a donc l’impression que Microsoft vient de décider de mettre au rebut une partie des PCs sortis avant 2017 – qui n’ont pas de puce TPM 2.0 avec l’un des processeurs acceptés par Microsoft.

Si la durée de vie réelle d’un PC est de 6-7 ans, fin 2020 on peut estimer, a grosses mailles,  l’impact à 40% (3/7) des 1,2 milliard de PC concernés soit 480 millions. Tous ne seront pas remplacés et resteront sous une ancienne version non maintenue ou passeront en open source. Mais si cela force 30% d’entre eux à être remplacés avant l’heure, c’est 144 millions de PC que l’on va produire pour rien, soit 22 mégatonnes de CO2 en plus. C’est à peu près l’émission de tout le transport aérien français en 2019 évalué par la DGAC. 

D’ailleurs les questions de la FAQ Windows 11 sur le site de Microsoft sont très explicites sur la finalité de Windows 11 et traitent majoritairement de l’achat d’un nouveau PC… comme dans l’ancien Monde 🙂

Tout cela est donc loin d’être neutre, mais n’apparaîtra pas dans le bilan carbone de Microsoft

Donc malgré les promesses de neutralité et de responsabilité, on a aujourd’hui du mal à croire que Microsoft n’a pas pensé à l’impact environnemental de Windows 11. Mais le fait que cette « grande responsabilité » soit absente des communications interpelle sur le sérieux des autres annonces environnementales.

Et puis si la vente de PCs est l’objectif, au moins à minima proposer un programme de recyclage associé aux nouvelles ventes. Espérons que Microsoft rectifiera ses communications d’ici au lancement en octobre, surtout qu’à vouloir servir les particuliers et les entreprises avec le même produit, on peut vite se perdre. En tout cas GreenSI restera vigilant.

Mais l’impact d’un OS c’est aussi sa propre consommation de ressources. Toute aussi importante que son impact sur la fabrication.

On rentre ici dans le champ de l’écoconception et on sait qu’entre deux logiciels qui font la même chose, la façon de le faire peut faire changer énormément le bilan énergétique final. Or un système d’exploitation, c’est lui qui gère les batteries, les communications, la relation avec les périphériques… bref, s’il est moins efficace énergétiquement ça va faire exploser la consommation énergétique.

On aurait pu s’attendre à un lancement de Windows 11 qui démontrerait que la conception a été pensée pour être plus efficace énergétiquement que Windows 10. Enfin, dans le nouveau Monde, c’est ce à quoi les clients s’attendraient.

Ne nous méprenons pas. Microsoft a le temps de rectifier son tir, mais l’enjeu malheureusement ne concerne pas que Microsoft. Une telle omission peut renforcer le sentiment « anti-technologie » que l’on voit apparaître quand l’obsolescence programmée s’invite dans la conception ou quand le développement durable n’est que de la communication. Le lancement de la 5G a d’ailleurs été très challengé sur le sujet des émissions.

Le paradigme de la technologie durable est pourtant à porté de main, surtout quand on a un quasi-monopole mondial de fait.

Les constructeurs, bien alignés derrière le système d’exploitation, savent bien comment fonctionne la Loi de Moore, qui double la puissance tous les 18 mois. Cette loi devrait dorénavant se traduire par une loi de responsabilité numérique qui diviserait par deux les émissions régulièrement. Et pour cela, le système d’exploitation a un rôle à jouer et doit devenir plus responsable.

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ADDENDUM : À noter que le 5 octobre, le Cigref et ses homologues européens ont interpellé Microsoft sur ce sujet : empreinte environnementale et sécurité numérique





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