Les dashcams sont devenues des dispositifs de plus en plus utilisés par les automobilistes, mais a-t-on vraiment le droit de filmer la voie publique, les plaques d’immatriculation et les autres automobilistes sans leur consentement ?
« Protégez vos trajets avec des dashcams ! » : depuis des années, des caméras embarquées sur des véhicules sont vendues sur le marché français. Leur promesse : filmer les éventuels accidents ou les comportements inciviques qui pourraient survenir pendant les trajets, de quoi servir de preuves au moindre délit de fuite ou litige. Si elles ont été adoptées par de nombreux automobilistes, motards et même VTTistes, que dit la loi ? A-t-on le droit de filmer la voie publique, les plaques d’immatriculation et les autres automobilistes sans leur consentement ? Peut-on refuser d’être filmé par ces dispositifs ? Les images peuvent-elles servir de preuve ?
Si nos questions sont nombreuses, les réponses ne sont pas aussi tranchées que nous l’aurions souhaité. Car au niveau européen, c’est le « souk juridique. Vous avez des pays qui l’ont strictement interdit, comme le Luxembourg, le Portugal, l’Autriche et la Belgique. D’autres qui l’ont autorisée sous réserve, comme les Pays-Bas, de ce que je comprends », explique Eric Barbry, avocat IT et Data au sein du cabinet Racine.
En France, on est dans le « ni ni »
Mais dans d’autres comme en France, le sujet n’est pas tranché. La CNIL, l’autorité française en charge de notre vie privée, n’a pas encore pris position sur le sujet, nous explique-t-elle. Mais elle reconnait que les caméras embarquées soulèvent « deux problématiques pratiques » de respect du RGPD, le règlement européen sur les données personnelles de 2018. En France, nous sommes dans une sorte de « ni ni », résume Eric Barbry. « Il n’y a pas en effet eu de prise de position de l’autorité de contrôle, ce qui ne veut pas dire que les dashcams ne sont pas régulées », ajoute l’avocat.
Le droit des données personnelles, les dispositions relatives à la vidéoprotection et à la vidéosurveillance, le droit à l’image et le droit de la preuve peuvent s’appliquer aux caméras embarquées. Mais tout dépend du contexte dans lequel on se place. Est-on, d’abord, dans un cadre professionnel ou privé, s’interroge Me Barbry. Les passagers d’un taxi, d’un VTC ou d’un blablacar qui sont filmés pour immortaliser les incivilités d’un client par exemple doivent être informés de la présence d’une caméra à l’intérieur d’un véhicule. Dans le cadre privé (familles, amis), le RGPD ne s’applique pas – il n’y a aucun consentement à recevoir.
Mais si on se concentre sur les caméras qui filment l’extérieur – donc la voie publique et potentiellement les gens dans la rue :« il faut se demander quel est l’objectif de cette captation. Quelle est la finalité ? Filme-t-on les gens dans la rue ou une situation accidentogène ? », s’interroge le spécialiste, qui fait un parallèle avec le droit à l’image.
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« Mon objectif n’est pas de filmer des gens, mais de filmer une potentielle situation accidentogène »
Lorsqu’on filme une foule, on doit se demander si on a voulu photographier une personne, plusieurs personnes, ou en fait un événement … qui fait qu’on a filmé des gens ? « Bien que cela ne soit jamais aussi catégorique que cela, parce que le droit ce n’est jamais ni blanc ni noir, le principe est que le droit à l’image s’efface d’une certaine manière derrière l’événement et la foule », précise-t-il. Cette approche pourrait être reprise pour une dashcam : dans ce contexte, « mon objectif n’est pas de filmer des gens, mais de filmer une potentielle situation accidentogène », explique Me Barbry.
À côté de ce droit à l’image qui s’effacerait, il resterait le droit aux données personnelles, qui nécessite le fait de demander le consentement, ou de donner à la personne filmée la possibilité de s’opposer à toute captation. « Mais encore une fois, je pense qu’il y a deux approches. Une approche rigoureuse, rigoriste même, en disant : “on va interdire les dashcams parce que potentiellement ça filme des gens”. Et il y a la position pragmatique, qui est : “qu’est-ce que je filme quelle est ma finalité ?” ». S’il s’agit de filmer une potentielle situation accidentogène, le droit des données personnelles serait, selon cette approche, mis de côté.
« La CNIL pourrait suivre ce raisonnement, en ajoutant des contraintes comme le fait que toutes les 24H, tous les deux jours, les données sont effacées, à moins qu’il y ait un accident », poursuit le spécialiste. Pourquoi alors tarde-t-elle à prendre sa décision ? Une partie de l’explication pourrait résider dans le fait que cette autorité « est là pour faire respecter le RGPD. Donc commencer à dire, en fait, on ne va pas appliquer de manière rigoureuse le RGPD, mais on va l’appliquer comme ci, comme ça, c’est aussi un moyen de montrer que finalement, le RGPD, ce n’est pas aussi simple que cela », estime Me Barbry.
A-t-on le droit d’utiliser les vidéos des dashcams ?
À côté de la question de la légalité, se pose celle de l’usage des vidéos. Peut-on les utiliser à titre de preuve ? Dans l’affaire Pierre Palmade, la dashcam d’un automobiliste avait été décisive. Elle avait filmé les deux passagers de la voiture du comédien qui prenaient la fuite. « Au niveau pénal, la preuve est libre. Cela a été rappelé encore récemment, une preuve, même illicite, devant une juridiction pénale, peut être admissible. Pour les procès civils, où on est plutôt sur la réparation d’un préjudice ou sur la mise en cause de la responsabilité d’une personne, utiliser la vidéo d’une dashcam sera plus complexe. La procédure présuppose la légitimité de l’action de preuve, donc le respect de la loi », développe Me Barbry.
Côté assureurs, ces derniers estiment que « les images enregistrées par les dashcams peuvent en effet aider à établir les responsabilités en complément du constat amiable, des témoignages et du rapport d’expertise ». Mais comme elles « n’empêchent pas l’accident de se produire, elles n’ont donc pas d’impact sur le coût de l’assurance », précise France Assureurs, la fédération qui réunit les assurances françaises, que nous avons interrogée.
En attendant, la CNIL nous conseille de « faire preuve de prudence dans la mise en œuvre de ces dispositifs », le temps que sa future décision soit « prise en concertation avec les autorités compétentes ». Mais comment un utilisateur de dashcam pourrait-il être prudent, quand on sait qu’il ne peut pas ou peu paramétrer l’utilisation d’un modèle de caméra embarquée – en limitant par exemple le fonctionnement de la caméra en cas de choc ou de déclenchement de l’air bag ?
L’acquéreur d’une dashcam a en effet deux options : soit il branche cette dernière sur l’allume-cigare, la caméra fonctionnera alors seulement lorsque le moteur est allumé, les fichiers de la vidéo étant enregistrés sur une carte SD. Soit il la connecte directement au boitier de fusibles de la voiture, ce qui lui permettra de filmer en continu l’avant, parfois l’arrière, et l’intérieur, selon les modèles qui laissent bien peu de marge de manœuvre aux automobilistes.
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