Expliquer les principes du logiciel libre à des adultes, s’ils n’en ont jamais entendu parler, n’est pas toujours facile. Alors à des enfants? C’est ce que fait brillamment un joli livre, «Ada & Zangemann. Un conte sur les logiciels, le skateboard et la glace à la framboise» (C&F éditions, 60 pages, 15 euros): tout récemment paru en français, il oppose une petite fille débrouillarde, Ada – clin d’œil à la pionnière Ada Lovelace -, à un inventeur que ses appareils ont rendu immensément riche (Zangemann, littéralement «homme pince», évoque plusieurs figures de milliardaires de la tech, Gates, Jobs etc.).
Apologie du bidouillage et de la solidarité
Ecrit par Mathias Kirschner – par ailleurs président de la Free Software Foundation Europe (FSFE) – et dessiné par Sandra Brandstätter, le livre voit le génial inventeur abuser de son pouvoir: il bloque les skateboards électroniques qui roulent sur les trottoirs, limite le volume de ses enceintes connectées ou encore restreint le choix des glaces à son parfum préféré. Et là, la jeune Ada, qui découvre la notion de logiciel, va hacker ces appareils et avec ses copains œuvrer à rendre le choix aux utilisateurs. De quoi agacer le milliardaire, qui fait pression sur le gouvernement pour interdire ces bidouillages qui lui échappent. Puis…
Bref, je ne vais pas tout vous spoiler, mais cet album réussit l’exploit de décrire avec clarté et humour, à travers ses exemples qui parleront à tous, la notion de liberté logicielle, et invite ainsi à réfléchir sur la démocratie concrète. Et comme «plus réussi est le méchant, plus réussi est le film» (Alfred Hitchcock), ici l’antagoniste est réussi, ce livre est une réussite à tous égards: LE cadeau recommandé pour Noël et au-delà.
En outre, la façon dont ce livre est diffusé est en elle-même remarquable. D’abord, sa version numérique est en prix libre (de la gratuité au don à C&F éditions, dont le remarquable travail est à saluer – regardez l’ensemble de leur catalogue, quiconque s’intéresse aux aspects politiques et sociaux de la tech devrait y trouver son bonheur).
Un projet libre de A à Z
Ensuite, le livre, initialement paru en allemand, a été placé sous licence libre (Creative Commons by-sa) par ses auteurs, qui privilégient ainsi sa diffusion maximale: usage, modification et partage de l’œuvre sont autorisés. De quoi faciliter ses traductions, explique Alexis Kauffmann, chef de projet logiciels et ressources éducatives libres au ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse et fondateur de Framasoft. Il précise aussi que «pour cette édition française, Matthias Kirschner a décidé de reverser tous les droits d’auteur issus des ventes du livre en version papier à la Free Software Foundation Europe».
– «sa traduction a été réalisée collaborativement par une centaine d’élèves qui se sont coordonnés sur les outils libres de La Digitale
– sa chaîne d’édition est libre: HTML, CSS, JavaScript Paged.js + typographie libre Luciole»
Alexis Kauffmann a initié ce projet pédagogique collaboratif, avec l’aide des enseignantes et de l’ADEAF (Association pour le développement de l’enseignement de l’allemand en France).
Pour avoir rencontré chez C&F quelques-uns de ces jeunes traducteurs (les participants allaient de la 3e aux classes préparatoires, de 13 à 19 ans, dans quatre établissements scolaires différents, d’Alès, Besançon, Guingamp et Paris) et leurs professeures, l’enthousiasme a été au rendez-vous de ce beau chantier collectif.
Cette parution en français est déjà couverte d’éloges, je vous invite à la découvrir pour voir combien ce livre le mérite.
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