Chaque année, le grand salon de Las Vegas est l’occasion de découvrir d’innombrables nouveautés tech… pour le meilleur ou pour le pire. Le « Worst in Show », organisé par plusieurs associations américaines, mais aussi des spécialistes de la réparation, sélectionne le pire. Voici son verdict.
Le Worst in Show, ou le « pire du salon ». En réponse au déluge de produits plus ou moins utiles et innovants présentés chaque année au CES de Las Vegas, un collectif d’entreprises et d’associations a pris l’habitude de prendre la grand-messe de la tech à revers. À l’occasion d’une remise des prix un peu particulière, il dézingue chaque année les innovations « qui envahissent notre vie privée, saccagent la planète et, franchement, ne devraient pas exister » comme l’écrit Lucas Gutterman, directeur de campagne au PIRG, un groupement de défense des consommateurs aux États-Unis.
Cette équipe hétéroclite, qui compte aussi les spécialistes de la réparation iFixit, l’Electronic Frontier Foundation (EFF) ou encore l’association Consumer Reports, a rendu il y a peu son verdict sur l’édition 2023. Voici donc les plus mauvais produits du salon, arguments du jury à l’appui.
Withings U-Scan, le produit français cloué au pilori
Cocorico (ou pas) : un produit « made in France » se distingue à deux reprises dans cette sélection. Il s’agit du U-Scan, de Withings. Les experts américains ne contestent pas les qualités techniques de l’appareil, conçu pour être posé dans vos toilettes afin d’analyser votre urine et en dégager des données de santé. Mais ils posent toutefois une question tout à fait légitime : celle du respect de votre vie privée, ici d’autant plus sensible que le produit peut servir à suivre le cycle menstruel. Un sujet particulièrement sensible outre-Atlantique depuis la fin de la protection fédérale du droit à l’avortement.
Cindy Cohn, avocate et directrice exécutive de l’EFF a ainsi tempêté contre « ce produit qui ne vous dit rien de ce qu’il va faire des données qu’il va collecter », tout en précisant que le U-Scan n’a pas encore été autorisé à la commercialisation aux Etats-Unis, et que Withings a encore le temps d’améliorer sa copie. Cindy Cohn va plus loin : « N’ont-ils pas entendu parler de la décision Dobbs de la Cour suprême, décision qui a ouvert la voie, dans plusieurs états américains, à des poursuites judiciaires pour des femmes qui souhaiteraient avorter ? […] Il y a eu bien des produits problématiques au CES cette année, mais celui-ci fait partie de ceux qui pourraient vous amener en prison ».
La charge est sévère. À tel point que le U-Scan a même gagné le prix du pire produit du CES, toutes catégories confondues. Nous avons contacté Withings pour obtenir une réaction, mais l’entreprise n’a pas souhaité commenter.
Displace, une télé sur batterie qui pourrit inutilement l’environnement
Voici un produit qui – à défaut d’autre chose, sans doute – a fait beaucoup parler de lui durant le salon. DisplaceTV est un téléviseur 55 pouces 4K « entièrement sans fil » et pour cause : il intègre quatre batteries Lithium Ion amovibles, qui offrent, selon son constructeur, 30 jours d’autonomie à raison de 6 heures de visionnage par jour. On peut ainsi déplacer son écran à l’envi, et le fixer à n’importe quel mur par un système d’aspiration, qui fonctionne lui aussi grâce aux batteries intégrées.
Reste à savoir si tout cela est réellement utile. Avez-vous vraiment besoin de déplacer votre téléviseur régulièrement ? Le câble d’alimentation est-il vraiment à ce point disgracieux qu’il justifie l’achat d’un téléviseur sans aucun câble ? Rien n’est moins sûr. Pour Shanika Whitehurst de Consumer Reports, qui a décerné le prix de « l’impact environnemental » à cette invention à l’utilité toute relative, c’est même une hérésie : « vous allez devoir extraire des batteries, qui ont nécessité le minage de minerais rares, puis les charger, puis les remettre… La vraie question, c’est pourquoi commercialiser un tel produit, alors qu’une prise de courant aurait suffi à alimenter ce téléviseur ? » a-t-elle rappelé. Avant d’enfoncer le clou en expliquant que le système de fixation mural repose lui aussi sur ces batteries. Si cette télé se retrouve à court de jus, elle va donc s’écraser au sol, et risquer la casse.
Ember Mug 2,+, un produit aussi superflu qu’irréparable
Ouf, la mode du « tout connecté », qui consistait à ajouter un module Bluetooth, quelques capteurs et une batterie à des objets, est un peu passée. Mais certains fabricants poursuivent tout de même dans cette voie, avec des produits dont la planète se passerait volontiers. À l’image de l’Ember Mug 2+, une nouvelle version de cette « tasse intelligente » à 200 dollars, présentée cette année dans les allées du salon. À quoi ça sert ? Tenez-vous bien : à conserver votre café ou thé… au chaud. Pour cela, il lui faut évidemment une batterie et quelques circuits électroniques. Seule innovation de cette version : une compatibilité avec la fonction « Localiser » d’Apple.
Un produit atomisé avec gourmandise par Kyle Weins, patron et cofondateur d’iFixit : « Le problème, c’est que vous n’avez pas besoin d’un appareil électronique pour garder votre café au chaud. Il existe déjà des produits formidables – tasses à isolation thermique, thermos – qui existent depuis une éternité. »
Mais l’Ember Mug 2+ n’est pas seulement polluante, chère et inutile : elle est aussi irréparable, ou presque. « Ils auraient pu aisément designer le produit afin de faciliter le remplacement de la batterie. Mais non. Il a fallu que nous utilisions une scie pour désassembler la première version de l’Ember Mug ! », rappelle le patron d’iFixit. Il précise que l’entreprise n’a aucune volonté d’arranger les choses : « si vous leur envoyez un mail pour savoir comment remplacer la batterie, ils vous répondront avec un coupon de réduction pour acheter un nouveau mug irréparable ». « C’est un produit qui ne devrait pas exister, dont on n’a pas besoin, et qui fait du mal à la planète », a-t-il résumé.
Les TV « intelligentes » de Roku, un désastre en devenir pour la sécurité ?
Roku est une marque peu connue en France, mais célèbre aux Etats-Unis pour ses terminaux de streaming pour téléviseur. À CES, Roku a franchi une nouvelle étape cette année en lançant des téléviseurs connectés, équipés de son OS « maison » (Roku OS). Une mauvaise nouvelle, selon Paul Roberts, fondateur de l’association SecuRepairs, qui réunit des professionnels de la cybersécurité qui défendent le droit à la réparation aux Etats-Unis. Car Roku n’est pas réputé pour sa politique en matière de sécurité informatique, c’est le moins qu’on puisse dire : aucun programme de Bug Bounty n’est accessible aux chercheurs, et l’entreprise semble bien peu se préoccuper des vulnérabilités qui touchent inévitablement sa plate-forme. « Juste pour comparaison, Apple a enregistré 1300 vulnérabilités pour tvOS depuis son lancement en 2013. Roku, seulement une ! » a expliqué Paul Roberts. Mais il a bien été obligé de le faire : il s’agissait d’un jailbreak publié en début d’année dernière, permettant d’obtenir un accès « root » à la plupart de ses appareils. « Un an plus tard, j’ai regardé, et il est difficile de dire si Roku a fait le moindre effort pour colmater cette faille. […] Et laissez-moi vous le dire : en matière de cybersécurité, ne pas avoir de nouvelles, ce n’est pas une bonne nouvelle ».
Neutrogena SkinStacks, le produit WTF que personne n’a jamais demandé
« Pourquoi se contenter de vendre des vitamines quand on peut aussi créer des recharges propriétaires et collecter en masse des données biométriques ? » Voici comment Nathan Proctor, directeur de campagne au PIRG, introduit le nouveau produit de Neutrogena, présenté au CES 2020. Les « Skinstacks » sont de petites gommes à avaler « imprimées en 3D », bourrées de compléments alimentaires. Pour en obtenir – contre la coquette somme de 50 dollars par mois -, il vous faudra d’abord effectuer un scan complet de votre visage, par le biais d’une application pour smartphone. Une analyse censée être suffisante pour ensuite vous conseiller un mix de compléments alimentaires idéaux pour raffermir ou rajeunir votre peau. Il est permis de douter de la pertinence de ce test, et de se demander où vont finir nos données personnelles. « C’est une vraie performance : ce produit est tellement ridicule qu’il parvient à se distinguer dans un marché (celui des compléments alimentaires, ndlr) déjà réputé pour ses arnaques » a conclu, hilare, Nathan Proctor.
JBL Tour Pro 2, des écouteurs irréparables, à l’intérêt douteux
Dernier produit distingué, cette fois par les votes des internautes sur les réseaux sociaux : les JBL Tour Pro 2, ces écouteurs true wireless qui tentent de se distinguer des dizaines d’autres produits du marché par un écran sur le boîtier. Cet écran tactile de 1,5 pouce permet, certes, d’accéder à certains réglages sans passer par votre smartphone. Mais selon le célèbre Youtubeur JerryRigEverything, c’est surtout « un élément coûteux supplémentaire qui peut casser, alors que nous avons déjà des téléphones et des montres qui font exactement la même chose ».
Source :
Worst In Show 2023