Au Crypto Policy Symposium, les sceptiques de la cryptoéconomie entrent en résistance

Au Crypto Policy Symposium, les sceptiques de la cryptoéconomie entrent en résistance


Réguler le marché des cryptoactifs ? Une « problématique d’intérêt général ». Développer à leur égard un discours critique ? Un « enjeu démocratique ». Voilà le message martelé par quarante personnalités venues du monde scientifique, académique et politique, des experts des technologies informatiques ainsi que des journalistes de la presse économique et financière, rassemblés les 5 et 6 septembre à l’occasion du Crypto Policy Symposium, à Londres.

Alors que l’industrie des cryptoactifs peut compter sur des centaines de rassemblements pour diffuser un discours évangélisateur, à l’image de Surfin’Bitcoin, qui s’est achevé le 27 août à Biarritz, cette conférence critique internationale, elle, est la première en son genre. « Nous sommes un petit groupe de dissidents face à une industrie qui pèse des milliers de milliards de dollars, reconnaît Stephen Diehl, ingénieur informatique spécialisé dans la finance et co-organisateur de l’événement. Mais nous espérons peser car notre action va dans le sens de l’intérêt général. Il est urgent de mieux informer les législateurs et les régulateurs sur les dangers de la cryptoéconomie, dans un contexte où les risques pour le grand public n’ont jamais été aussi élevés. »

Une économie prédatrice pour les plus vulnérables

Le contraste entre la médiatisation entretenue par les promoteurs de l’industrie et la réalité du marché inquiète la communauté cryptosceptique, désireuse de mieux se faire entendre. « Chaque bulle est plus grosse que la précédente. Il y a à chaque fois plus d’argent en jeu mais aussi plus de victimes », s’alarme la journaliste indépendante Amy Castor, citant l’effet domino produit, depuis le printemps 2022, par l’effondrement du « stablecoin » terra-luna, le placement en liquidation du fonds de pension Three Arrow Capital (3AC) et les mises en faillite de la plate-forme d’échange Celsius Network ainsi que du courtier Voyager Digital.

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Un constat que partage Molly White, ingénieure informatique et éditrice de Wikipédia. Avec son blog Web3 is going just great (« le Web3 va très bien »), sur lequel elle recense méthodiquement les arnaques et les échecs des entreprises de la cryptoéconomie, elle a émergé comme l’une des voix les plus férocement critiques de l’industrie des cryptoactifs. Dernièrement, elle s’est plongée dans les témoignages versés au dossier de faillite de Celsius. Cette enquête la laisse amère :

« Des personnes qui ne pouvaient pas se le permettre ont tout perdu. Des gens modestes ont placé leurs économies en pensant utiliser les rendements annoncés pour payer les études supérieures de leurs enfants. Des préretraités ont perdu l’épargne amassée pendant leurs années de labeur. À tous, on a expliqué que les cryptoactifs étaient des investissements sans risque. »

Martin Walker, consultant en management et également co-organisateur de la conférence, compare pour sa part les cryptoactifs à des produits financiers toxiques, aussi corrosifs que les prêts sur salaire (payday loans) ou les cartes de crédit à intérêt élevés. Une dimension « prédatrice » accentuée par le fait que les cryptos se présentent souvent comme des « outils d’inclusion » pour des personnes « historiquement exclues du système bancaire et vulnérables sur le plan financier, comme les communautés noires et latino aux Etats-Unis », complète Tonantzin Carmona, spécialiste des questions d’inclusion bancaire et chercheuse à la Brookings Institution.

Les notions d’ « argent facile », d’ « indépendance » et de « liberté financière » sont des mythes tenaces de la cryptoéconomie, rappelle le journaliste Jacob Silverman. Or, souligne ce spécialiste des enjeux politiques des nouvelles technologies, le marché des cryptoactifs est surtout « inéquitable, asymétrique, peu transparent », des caractéristiques qui autorisent selon lui les « fraudes, les manipulations et les délits d’initiés ». La cryptoéconomie est avant tout une forme de « casino-capitalisme », résume enfin l’acteur américain Ben McKenzie, cryptosceptique revendiqué, qui cosigne avec Jacob Silverman Easy Money, un essai qui retrace les principales affaires de fraude financière et dont la publication est prévue en 2023.

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Le lobbying pour limiter la régulation du secteur

Pour David Gerard, consultant en informatique et auteur en 2017 de Attack of the 50 Foot Blockchain, un essai à charge contre la blockchain, il est urgent de déconstruire les discours sur le caractère révolutionnaire de cette technologie et des cryptoactifs en général : « Leur seule innovation consiste à industrialiser les fraudes à une vitesse telle que les régulateurs seront toujours pris de court. » « Smart contracts », « Initial coin offering » (ICO), protocole de consensus… Les promoteurs de l’industrie des cryptos utilisent également des termes à la fois complexes et vagues, « ce qui a pour effet d’obscurcir leurs intentions et de ralentir l’action des régulateurs », juge le professeur de droit Edmund Schuster, enseignant à la London School of Economics.

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A l’occasion d’une discussion consacrée à l’impact environnemental de l’industrie des cryptoactifs, Martin Walker s’est par ailleurs alarmé de voir certains de ses promoteurs affirmer auprès des politiciens que le minage permettrait d’accélérer la transition énergétique. Ce discours marketing ne serait qu’une tentative de « greenwasher » la lourde empreinte carbone des transactions, du minage, mais aussi de la fabrication du matériel destiné à cette activité.

L’industrie des cryptoactifs déploie en effet d’importants efforts de lobbying afin de retarder ou de limiter la régulation du secteur. Pour cela, elle peut compter sur « l’appui financier de puissantes firmes de capital-risque, à l’instar de a16z ou Paradigm aux Etats-Unis », souligne Amy Castor, très critique vis-à-vis de la firme Andreessen Horowitz (a16z), qu’elle accuse de « mensonges » et de « propagande ». Le secteur peut aussi compter sur le soutien de certains cryptomilliardaires : Sam Bankman-Fried, par exemple, assume de vouloir orienter la prise de décision publique et se positionne comme un « mégadonateur » du Parti démocrate américain.

Une action qui trouve un écho chez certaines personnalités politiques, qui défendent avec ferveur l’industrie des cryptoactifs, à l’instar de la sénatrice républicaine Cynthia Lummis aux Etats-Unis. Au Royaume-Uni, la nouvelle première ministre, Liz Truss, s’est quant à elle déjà prononcée pour une limitation de l’encadrement du secteur. En France, l’ex-député La Républiqe en marche Pierre Person a lui aussi exprimé son enthousiasme vis-à-vis de l’industrie des cryptoactifs, dans un rapport datant du mois de juin.

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À l’issue de la conférence, une partie des organisateurs a donc entrepris ce qui est, à leurs yeux, un premier acte de résistance : la création du Center for Emerging Technology Policy, une organisation à but non lucratif visant à orienter la régulation sur les cryptoactifs en Europe et aux Etats-Unis. Un think-tank qui entend se positionner comme un contre-pouvoir face à une industrie puissante, organisée et bien financée.





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