En janvier 2022, le petit studio Vodeo annonçait la création du premier syndicat américain dans l’industrie vidéoludique. Presque un an plus tard, le secteur voit émerger sa plus importante association de travailleurs : environ trois cents testeurs en assurance qualité (ou testeurs QA, pour « Quality Assurance ») du groupe ZeniMax se sont regroupés au sein de la ZeniMax Workers United. La nouvelle a été annoncée le 3 janvier dans un communiqué par le principal syndicat des secteurs des médias et de la communication, Communications Workers of America (CWA).
A la taille inédite du syndicat s’ajoute l’aura des studios concernés. En effet, ZeniMax rassemble des poids lourds de l’industrie comme Bethesda (Skyrim, Fallout 4 ou le prochain Starfield), id Software (Doom), Arkane Austin (Prey, le prochain Redfall) ou ZeniMax Online (The Elder Scrolls Online). ZeniMax est aujourd’hui l’un des fleurons de la branche vidéoludique du groupe Microsoft, depuis son rachat pour 7,5 milliards de dollars (6,4 milliards d’euros), entériné en mars 2021.
« D’autres géants du jeu vidéo et des nouvelles technologies ont délibérément choisi d’attaquer et de démoraliser leurs propres employés. Microsoft suit une voie différente », s’est félicité Chris Shelton, le président de la CWA.
La position atypique de Microsoft est directement liée à ses actuelles manœuvres de rachat d’un autre groupe, encore plus gros que ZeniMax : Activision Blizzard. L’acquisition du premier éditeur américain (Call of Duty, Candy Crush) a été annoncée en janvier 2022 pour le montant record de 69 milliards de dollars. Avant même la finalisation de l’opération — actuellement scrutée par l’Union européenne et le régulateur américain du commerce — Microsoft avait fait savoir en juin qu’elle reconnaîtrait par anticipation la création du premier syndicat au sein d’Activision Blizzard.
« Nous avons annoncé un lot de principes qui va guider notre rapport aux associations de travailleurs et l’acquisition d’Activision Blizzard est notre première opportunité de mettre ces principes en pratique », avait en effet déclaré Brad Smith, président de Microsoft, en juin 2022.
Un mouvement né au sein d’Activision Blizzard
Le syndicat en question, appelé Game Workers Alliance et formé en mai 2022, était alors une entité inédite chez Activision Blizzard. Il émane d’une vingtaine de testeurs QA du studio Raven Software (Call of Duty : Warzone). En 2021, ceux-ci avaient déjà organisé des manifestations pour protester contre des suppressions de postes et un management jugé toxique.
La mobilisation de ces salariés, notamment en charge du dépistage des bugs des jeux et de l’amélioration de leurs fonctionnalités, traduit la frustration de cette profession souvent mal considérée.
Les conditions de travail difficiles de ces petites mains du jeu vidéo, leurs salaires généralement bas et leurs horaires parfois excessifs contrastent avec le dynamisme économique du secteur. En 2022, le chiffre d’affaires de l’industrie était estimé à 184 milliards de dollars dans le monde, selon le cabinet spécialisé Newzoo. Celui d’Activision Blizzard était de 8,8 milliards de dollars en 2021, en hausse de 9 % par rapport à l’année précédente, selon l’éditeur.
A cette frustration s’ajoute un climat miné au sein d’Activision Blizzard. Depuis l’été 2021, l’éditeur fait l’objet de plusieurs procédures judiciaires après des dénonciations de harcèlement moral et de discrimination au sein de ses studios. La direction a beau avoir répété depuis se soucier du bien-être de ses employés, la création du premier syndicat de l’entreprise a toutefois donné lieu à un bras de fer.
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En janvier 2022, l’entreprise a d’abord choisi de combattre le projet des testeurs de Raven Software, qui se tournent alors vers le National Labor Relation Board (NLRB), une agence fédérale qui permet d’organiser un vote pour former la structure : ensuite, Activision Blizzard a essayé de bloquer la procédure à six reprises. En octobre 2022, le NLRB a en outre révélé qu’Activision Blizzard avait fait pression sur ses employés, en refusant des hausses de salaires à ceux qui se sont mobilisés.
Cinq syndicats créés en 2022
Malgré sa taille plutôt modeste, la Game Workers Alliance a suscité de nombreux articles dans la presse américaine. En effet, il est le premier regroupement de la sorte au sein d’un studio en charge d’un « triple A », terme qui désigne les plus grosses productions du secteur. L’initiative de cette poignée de testeurs et la prise de position publique du président de Microsoft ont pourtant fait office de précédent pour tout le personnel d’Activision Blizzard aux Etats-Unis, environ 10 000 salariés, et de Microsoft, 122 000 employés.
Ceux-ci ont jugé qu’il n’y aurait « ni représailles ni chasse aux syndicats [de la part de Microsoft], et ça a été le cas », assure Wayne Dayberry, testeur QA et syndiqué chez ZeniMax, à l’agence Associated Press. Depuis, deux autres regroupements de travailleurs ont en effet vu le jour au sein des studios d’Activision Blizzard : une quinzaine de testeurs de Blizzard Albany, qui travaillent sur la franchise Diablo, et 57 salariés du studio Proletariat, racheté par Blizzard en juillet 2022 pour travailler sur World of Warcraft, se sont rassemblés pour défendre leurs intérêts en décembre 2022. Ouvrant la voie, cette semaine, à la création d’une structure similaire au sein de ZeniMax, cette fois plus simplement composée de quelques dizaines de salariés, comme ses prédécesseurs, mais de plusieurs centaines de personnes à travers deux Etats, le Maryland et le Texas.