Haro sur les garde-fous encadrant les systèmes d’intelligence artificielle : la chambre des Représentants a adopté, jeudi 22 mai aux États-Unis, un projet de loi qui vise à interdire toute législation qui s’appliquerait à l’intelligence artificielle dans le pays. Un rêve pour les géants de l’IA, qui doit encore passer par le Sénat américain pour devenir loi.
Pas de contrôle, pas de garde-fous, et un « blocage » automatique de toute loi déjà adoptée ou en devenir qui régulerait le secteur de l’intelligence artificielle (IA) pendant dix ans ? C’est tout l’objet d’un article de ce que la Maison-Blanche appelle, aux États-Unis, « la grande et belle loi de Donald Trump ».
Le méga projet de loi budgétaire, qui reprend une partie des promesses de campagne du président américain, vient d’être approuvé, de justesse, par la Chambre des représentants, jeudi 22 mai. Pour devenir une loi, le texte encore être examiné par le Sénat américain dans les prochaines semaines. Et il pourrait avoir des conséquences importantes sur tout le secteur de l’intelligence artificielle.
Une portée plus que large de la future interdiction
S’il est adopté tel quel, il empêcherait en effet les États américains de créer des garde-fous ou des systèmes de contrôle pour l’intelligence artificielle ou les systèmes de prise de décision automatisés pendant dix ans. En d’autres termes, il gèlerait toute tentative d’encadrement des agents conversationnels comme ChatGPT ou Le Chat, mais pas seulement. La mesure s’appliquerait autant à la lutte contre la discrimination algorithmique, qu’à la réglementation de l’utilisation de l’intelligence artificielle.
Non seulement les assemblées fédérales ne pourraient plus adopter la moindre loi ou réglementation régissant « les modèles d’intelligence artificielle, les systèmes d’intelligence artificielle ou les systèmes de décision automatisés », à moins que l’objectif des textes ne soit de « supprimer les obstacles juridiques à ces systèmes ou d’en faciliter le déploiement ou l’exploitation ».
IA, systèmes automatisés, deepfakes… Jusqu’où s’appliquerait ce moratoire ?
Mais les textes déjà adoptés seraient automatiquement « gelés ». Selon la « National Conference of State Legislatures (NCSL) », une association regroupant les législateurs des États fédérés américains, plus de 60 projets de loi relatifs à l’IA ont déjà été adoptés, et nombre d’entre eux pourraient être affectés par le moratoire du projet de loi. Dit autrement, les États fédéraux ne pourraient plus appliquer leurs lois régissant l’IA, pendant les dix prochaines années. En Californie, où siègent de nombreuses entreprises d’IA, la loi locale sur la transparence de l’IA et sur l’utilisation de deepfakes pourrait ainsi être gelée.
La volonté du président américain de revoir toutes les règles sur l’IA adoptées lors du mandat de son prédécesseur est loin d’être une surprise. Dès son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump avait publié deux décrets : le premier annulait « l’AI Act » de Joe Biden, pendant que le second visait à révoquer toutes les politiques gouvernementales antérieures constituant « des obstacles à l’innovation américaine en matière d’intelligence artificielle ».
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L’objectif de ces mesures et du projet de loi, nouvelle étape dans la dérégulation du secteur, est de permettre aux entreprises américaines de ne pas être entravées par la moindre règle, à des fins d’innovation, expliquent les partisans du texte. De quoi constituer un moyen de ne pas se laisser distancer par leurs concurrents chinois. Mais pour ses opposants, la portée de l’interdiction comprise dans la « One, Big, Beautiful Bill » serait bien trop importante : elle pourrait entraver l’application des lois couvrant tous les systèmes automatisés, ou faisant appel à l’apprentissage automatique – ce qui pourrait inclure les règlementations régissant les réseaux sociaux, leurs algorithmes, ou encore les lois visant à lutter contre les deepfakes.
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Un « dangereux cadeau aux grandes entreprises technologiques »
Les parlementaires américains démocrates et les organisations de défense des droits de l’Homme ou des droits numériques, comme l’Electronic Frontier Foundation, dénoncent un « dangereux cadeau aux grandes entreprises technologiques qui nuirait aux consommateurs ». Dans un article de blog du 14 mai dernier, l’ONG estime qu’un tel moratoire représenterait « un grave danger pour les Américains, car il laisserait les citoyens sans protection contre tout risque associé » à l’IA. Il « empêcherait également les États (fédérés, NDLR), qui ont été plus réactifs en matière de réglementation de l’IA (que le Congrès, au niveau fédéral, NDLR), de réagir aux problèmes émergents ».
Dans la foulée, plus de 140 associations de défense des droits civiques et des consommateurs ont demandé, dans une lettre envoyée au Congrès, de rejeter ce moratoire de dix ans, estimant que les Américains ne seraient pas protégés contre les risques croissants liés à l’intelligence artificielle.
« Il ne faut pas se leurrer, les familles qui sont venues nous supplier d’agir ne seront pas les gagnants de cette proposition de loi », a regretté la députée démocrate américaine Lori Trahan lors d’une audition sur le sujet, rapportée par Engadget. « Mais vous savez qui en bénéficiera ? Les grands PDG de la technologie qui étaient assis derrière Donald Trump lors de son investiture ».
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