« Avec Farinelli, j’ai fait le lien entre la castration et le transhumanisme »

« Avec Farinelli, j’ai fait le lien entre la castration et le transhumanisme »


C’est dans le cadre d’une résidence en recherche artistique à l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam), en 2021, que la plasticienne Judith Deschamps a eu l’idée d’élaborer un conte vidéographique en collaboration avec l’équipe Analyse et synthèse des sons Ircam-STMS. A 35 ans, la jeune femme, formée en France et au Royaume-Uni, a déjà exposé et performé dans de nombreuses institutions européennes – De Appel à Amsterdam, The Serving Library à Liverpool ; à Paris, au Musée d’art et d’histoire du judaïsme, au Centre Pompidou, à la Fondation Pernod Ricard. Depuis trois ans, l’artiste s’est engagée dans un travail sur la voix. Présenté le 9 juin au Centre Pompidou, dans une version en cours de réalisation, son film, La Mue, s’inspire de la vie et de la voix du grand castrat Farinelli (1705-1782).

Comment le chant de Farinelli s’est-il immiscé dans votre conscience d’artiste ?

L’histoire de Farinelli rejoint une question qui traverse mon travail autour de l’identité, du genre et des normes sociales. Je ne viens pas du monde musical. Je n’avais pas vu le film Farinelli, de Gérard Corbiau (1994), et j’ai découvert tardivement le monde des castrats au XVIIIe siècle. Mais j’ai aussitôt fait le lien entre la castration et le transhumanisme d’aujourd’hui. En quoi vouloir garder intacte la voix de l’enfant a-t-il un rapport avec la difficulté d’accepter la vieillesse dans une société où le recours aux technologies permettrait de vivre plus longtemps, voire d’atteindre une pseudo-éternité ?

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Vous vous êtes attachée à un épisode précis de la vie de Farinelli, les neuf années passées auprès du roi d’Espagne, Philippe V, entre 1737 et la mort du souverain, en 1746. Pourquoi ?

Cela m’a donné la trame d’une histoire merveilleuse, un roi mélancolique, un castrat adulé, un chant guérisseur au cœur de la nuit. L’idée n’est pas de recréer la voix, mais le chant de Farinelli. C’est pourquoi nous sommes partis d’un manuscrit qu’il a envoyé, le 30 mars 1753, à l’impératrice d’Autriche, dans lequel figurent quelques airs, dont le fameux Quell’usignolo che innamorato, que le roi aimait particulièrement. Au-dessous de la partition originale tirée du Merope de Giacomelli, Farinelli a noté ses propres ornementations. Celles-là mêmes que nous nous appliquons à recréer et développer avec l’intelligence artificielle.

Quel rapport entretient votre processus de création avec l’intelligence artificielle ?

Il s’agit avant tout, pour moi, d’un instrument, d’un médium, d’une technologie. Je comprends qu’on puisse être tenté de la mythifier ou de la sacraliser, mais la machine n’a ni intention ni pouvoir, et il convient de bien réfléchir à la question de l’humain dans la cohabitation et la corrélation que nous développons avec elle. Ce sont précisément ses failles et ses lacunes qui nous donnent de l’espace, créent un rapport, tissent un lien. En étant capable d’improviser et d’ornementer, elle nous livre comme un accès à la sensibilité de Farinelli.

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