Cinq ans après son calendrier initial, Blue Origin a inauguré son premier lanceur géant réutilisable New Glenn, un immense colosse de 100 mètres de haut qui prévoit 10 lancements en 2025, avec des missions aussi bien sur l’orbite basse, l’orbite haute, l’orbite lunaire et des missions interplanétaires. Pourquoi SpaceX doit-il s’en méfier ?
Blue Origin n’est plus qu’une société du spatial aux missions simplement suborbitales. Cinq ans après New Sheppard, et avec cinq ans de retard sur son calendrier initial, la nouvelle fusée New Glenn s’est envolée jeudi 16 janvier, depuis la base de Cap Canaveral en Floride, sur l’ancien pas de tir des lanceurs Atlas. Financée en partie par Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, Blue Origin fait un pas de géant dans l’industrie pour rejoindre SpaceX, même si du chemin reste encore à parcourir en matière de développement. Malgré ce gap, New Glenn prend à contre-pied la Falcon 9 de son concurrent, avec un lanceur géant aux capacités multiples, et aux nombreux secrets.
NG-1 : le premier vol de New Glenn réussit sa mission
Après de multiples reports cette semaine, depuis le 13 janvier, New Glenn a enfin trouvé une fenêtre de tir pour décoller, jeudi 16 janvier à 2 heures du matin en heure locale, 8 heures en France. Lundi, lors de sa fenêtre de tir initiale, Blue Origin avait annulé la mission suite à de la glace accumulée sur une conduite de propulseur. Jeudi, aucun signalement n’a été fait par la société, malgré le report d’une heure pour une question de refroidissement des moteurs BE-4, avant le lancement. Une fois le décompte final, New Glenn a pu suivre une trajectoire nominale devant des centaines de salariés rassemblés pour le lancement au siège de Blue Origin à Kent, dans l’État de Washington, ainsi que dans une usine de Cap Canaveral en Floride.
NEWS: Blue Origin’s New Glenn rocket has just successfully lifted off for the first time. pic.twitter.com/Gfzz4wNr0F
— Sawyer Merritt (@SawyerMerritt) January 16, 2025
Une mise en orbite, mais un atterrissage raté du booster principal
En complément d’un tir réussi, Blue Origin souhaite réaliser deux autres exploits lors de ce premier vol de New Glenn. Le premier est de mettre le vaisseau spatial sur son orbite, une réussite rare pour une entreprise du spatial lors d’un vol inaugural. Le second, encore plus difficile, est de faire atterrir à nouveau l’étage principal, sur une barque au large de l’océan Atlantique. Pour un souci de discrétion, Blue Origin a choisi d’arrêter sa retransmission en direct (pour une question de manque de moyen vidéo aussi certainement).
Dans le détail du décollage, New Glenn a brûlé son méthane liquide et son oxygène de l’étage principal pendant une durée de trois minutes, avant que le deuxième étage ne se sépare et prenne le relais, à une altitude de 70 kilomètres. L’étage suivante a duré 10 minutes, pendant lesquelles la fusée a pu atteindre une vitesse orbitale de 28 800 km/h, pour délivrer sa charge utile, un certain Blue Ring (remorqueur orbital).
Malheureusement, Blue Origin n’est pas arrivé à faire atterrir son étage principal sur la barque située au large. « Nous avons effectivement perdu le propulseur » a déclaré Ariane Cornell de la société aérospatiale. Pour rappel, SpaceX a dû effectuer 19 lancements avant de réussir à faire atterir une fusée orbitale pour la première fois, en décembre 2015.
Pourquoi New Glenn est à considérer face à SpaceX ?
Blue Origin n’aime pas la communication à outrance. Il faut dire que, face à SpaceX, difficile de faire mieux, et autant. Son retard dans le développement de New Glenn l’a rendue plus discrète, même si son activité dans le tourisme spatial avec New Sheppard lui permet régulièrement de montrer des images exceptionnelles de la Terre, vue par des astronautes amateurs… dont Jeff Bezos lui-même. Pour autant, tout s’est accéléré ces derniers mois avec New Glenn et la possibilité pour Blue Origin de l’inaugurer fin 2024. L’échéance fut trop courte, alors que nous avons seulement pu assister à un tir statique le 28 décembre dernier.
Cinq types de gaz, pour une propulsion interplanétaire
Pas de quoi calmer les ardeurs cependant. Les capacités de New Glenn font que SpaceX ne doit peut-être pas se méfier de la Chine, mais plutôt d’un vieux rival, qui affiche les mêmes ambitions que lui depuis au moins autant de temps. L’entreprise américaine existe depuis 2002 et malgré un développement de New Glenn lancé qu’en 2016, dix ans après la Falcon 9, la fusée affiche de grandes ambitions, et ne devrait pas être sous-estimée. Du haut de ses 100 mètres, et de ses 7 mètres de diamètre, New Glenn possède deux étages, voire trois si l’on prend en compte le remorqueur spatial Blue Ring, situé à son sommet. En tout, cinq types de gaz permettent à la fusée d’être propulsée : l’oxygène, le méthane, l’hydrogène, l’hydrazine et le xénon, pour deux moteurs ioniques situés sur Blue Ring.
Pourquoi choisir de travailler avec autant de sources d’énergie différentes ? Blue Origin ne le cache pas : sa fusée New Glenn aux 1700 tonnes de poussée se doit d’être aussi bien capable d’envoyer 45 tonnes de charge utile sur l’orbite basse, comme d’envoyer 13,6 tonnes sur l’orbite géostationnaire, et même 7 tonnes vers la Lune. Des capacités bien supérieures à celles de la Falcon 9 Block 5, avec un supplément qui n’est pas des moindres : la possibilité de propulser des satellites sur des trajectoires interplanétaires, voire interstellaires. Ses missions visées seront donc à la fois de l’ordre commercial, mais aussi avec la NASA et la Défense américaine. Jusqu’à 10 vols sont prévus en 2025, et 24 en 2026. De quoi prendre conscience de l’intérêt et de l’attente autour de la fusée de Blue Origin, mais aussi ses capacités de réutilisation…
Développement double, réutilisation double
Car oui, comme SpaceX et sa fusée Falcon 9 qui a démocratisé l’envoi de satellites sur l’orbite basse, New Glenn doit être réutilisable, et ce jusqu’à 25 fois avec l’étage principal. Pour ce faire, Blue Origin veut que New Glenn corrige un petit défaut des booster de la Falcon 9. Lors de son retour dans l’atmosphère, la fusée de SpaceX opère deux remises des gaz, pour freiner la masse et ne pas s’écraser. Avec New Glenn, Blue Origin veut que son étage principal pénètre dans l’atmosphère en faisant un vol plané plus horizontal, pour que la résistance soit plus forte et que le booster n’ai besoin que d’une seule mise à feu. De quoi économiser du carburant, et en avoir bien plus pour son ascension.
L’étage supérieur ne serait pas en reste, alors que le projet « Jarvis », en interne, étudie actuellement la possibilité de faire revenir sur Terre cet étage. Ce projet est très intéressant d’ailleurs, car il montre la culture d’entreprise instaurée par Jeff Bezos dans le milieu du spatial. Pour étudier la question de la réutilisabilité de l’étage supérieur, la société a choisi un développement double. Elle a mis en compétition deux de ses équipes, avec un objectif différent pour chacune. La première étudie à proprement parler la possibilité de réutiliser le deuxième étage. En parallèle, la seconde travaille sur une conception très optimisée de l’étage, pour faire en sorte que sa réutilisation ne soit même plus nécessaire pour contrôler les coûts. De quoi ne pas perdre de temps et choisir la meilleure solution.
Une coiffe de 7 mètres, pour des méga-constellations
En complément, New Glenn possède une coiffe de 7 mètres, qui n’est pas sans rappeler les ambitions de Blue Origin avec son projet Kuiper. Derrière ce nom, une mégaconstellation, prévue au départ pour rivaliser avec Starlink de SpaceX et son réseau d’Internet par satellites. Depuis quelques mois, les ambitions semblent différentes, puisque Jeff Bezos parle désormais de suivi de géopositionnement, concurrent du GPS (comme Galileo en Europe). Le projet Kuiper fut annoncé pour la première fois en 2019, avec une première phase qui devrait comporter le placement sur l’orbite basse de pas moins de 3 236 satellites. Dans un second temps, 7774 satellites doivent venir compléter la constellation.
Avec 45 tonnes de charge utile disponibles pour l’orbite basse, New Glenn sera le véhicule qui travaillera sur ce projet. Pour rappel, la Falcon 9 de SpaceX ne peut emporter que 22 tonnes, de quoi donner un avantage concurrentiel à Blue Origin, même si SpaceX a bien évidemment un temps d’avance considérable, puisque sa constellation offre un service internet depuis déjà plus d’un an, et ses lancements ne faiblissent pas : en 2024, SpaceX a réalisé 138 tirs. En parallèle au projet Kuiper, la coiffe de 7 mètres permettra d’intégrer des charges utiles d’autres clients, comme la NASA avec la mission du vaisseau spatial ESCAPADE de Rocket Lab vers Mars. Ensuite, la Défense américaine souhaite s’appuyer sur New Glenn, en particulier grâce à son futur pas de tir en Californie, sur la base de Vandenberg, en visant l’orbite polaire.
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