En cette fin de septembre, sous l’immense verrière centrale de l’Ecole nationale supérieure de création industrielle (Ensci – Les Ateliers), à Paris, quelques étudiants s’affairent déjà sur leur projet de fin d’études. Au milieu d’un méli-mélo de pots de peinture, de maquettes de toutes formes, d’odeurs de bois et de colle, ils travaillent la matière pour peaufiner cette création qui leur permettra, dans moins d’un an, de sortir d’ici avec un diplôme de « créateur industriel » ou de « designer textile ». Ce rapport aux matériaux, présent partout ici, tranche avec le thème du tout nouveau cours que le designer et formateur Etienne Mineur entame avec une quinzaine d’élèves dans une petite salle à l’étage : les usages des intelligences artificielles (IA) génératives en design.
A l’image des multiples machines des ateliers « bois », « métal » ou « plastique » qui grondent au rez-de-chaussée, ces IA constituent « un autre type d’outil qu’il va vous falloir apprendre à savoir utiliser intelligemment dans votre processus de création », explique le professionnel devant ces étudiants de différents niveaux. ChatGPT, Midjourney, DALL-E, Stable Diffusion, Lensa : sur son écran défilent les noms de ces IA dont les écoles d’art et de design ne peuvent plus ignorer l’existence tant elles sont « susceptibles de bouleverser certains métiers de la création », selon Etienne Mineur.
Les élèves, tous volontaires pour participer à ce « studio expérimental », écarquillent les yeux lorsqu’il leur montre les progrès phénoménaux des IA en matière de génération d’images, de sons ou de vidéos depuis deux ans. Ils sourient lorsqu’il leur dévoile les productions parfois hasardeuses de « ce nouvel assistant des créateurs, complètement fou mais infatigable ». Et font la moue quand il évoque les limites de ce dernier, ses biais culturels et les risques qu’il fait peser sur la diversité dans la création…
« Ça m’intéresse de savoir dompter ces IA pour que ça devienne un outil et pour ne pas me faire remplacer par elles », commente Elisabeth, 18 ans, dans une analogie autour de la « domestication de la bête » que l’on retrouvera dans le vocabulaire de plusieurs interlocuteurs. « L’IA n’a pas l’éthique, la morale et l’empathie nécessaires au créateur, complète Tess, 18 ans. Mais si elle permet, comme celles entraînées à jouer aux échecs, de faire des coups “non humains”, de penser à des choses auxquelles on n’aurait pas pensé seul, il ne faut pas rejeter par principe… » Jonas (l’ensemble des jeunes interrogés n’ont pas souhaité donner leur nom de famille), 22 ans, le résume autrement : « Au début, j’avais peur. Maintenant, je vois que ça peut surtout me servir pour la phase d’inspiration au début d’un projet. Mais ça manque d’intuition et de caractère… »
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