Une société propose de gérer pour vous vos applications de rencontres et de décrocher, à votre place, des rendez-vous grâce à son IA. Au-delà du ridicule, le service pose des questions évidentes, éthiques et juridiques.
Sur Tinder, vous n’arrivez pas à obtenir des rendez-vous ? Ne paniquez pas : une IA peut vous aider, et ce n’est pas une blague. La société CupidBot promet le plus sérieusement du monde de « discuter à votre place » avec des femmes sur vos applications de rencontre – oui, l’offre est réservée aux hommes hétérosexuels. L’IA vous « apportera plusieurs rendez-vous par semaine afin que vous puissiez passer (directement) à la partie la plus intéressante ». Le service n’est pas gratuit – il vous en coûtera une quinzaine d’euros par mois. Le prix devrait monter dans les prochains mois.
Comment fonctionne-t-il ? D’abord, vous commencez par décrire ce qui serait, pour vous, un rendez-vous parfait. Ensuite, vous choisissez parmi sept profils quel ton adoptera votre chatbot – le NewYork Post cite par exemple les modes « nonchalant », « riche », « sympa », « plein d’esprit »… Puis l’IA « sélectionne les femmes qui sont exactement votre type », en se basant sur vos matchs antérieurs, précise le site Web de l’entreprise. S’ensuit une discussion entre le chatbot et une utilisatrice sélectionnée par l’IA, jusqu’à ce que le Graal soit atteint : un rendez-vous. Là aussi, l’IA fixe pour vous une heure et un lieu pour la rencontre qui sera ensuite ajoutée à votre calendrier. En revanche, c’est (encore) à vous de vous déplacer, le « travail » de l’IA s’arrête là.
Le manque de transparence
L’application a été créée par des personnes qui se présentent comme d’anciens employés de Tinder souhaitant rester anonymes, explique Vice, le 16 mars dernier. Leur objectif serait de lutter contre les « désavantages auxquels l’homme moyen » est confronté dans les rencontres en ligne. Il s’agirait aussi de « forcer Tinder à réévaluer son mode de fonctionnement ». « Nous nous concentrons sur la vie amoureuse des hommes hétérosexuels, car ce sont eux qui souffrent le plus des applications de rencontres. Il faut énormément de temps à l’homme moyen pour trouver ne serait-ce qu’un rendez-vous par mois », a justifié le porte-parole de CupidBot, cité par Vice. De là à sous-traiter la sélection et les premières prises de contact ?
Sans surprise, l’application suscite une avalanche de questions. Premier problème : les femmes savent-elles qu’elles discutent avec un chatbot ? « Non, a répondu le porte-parole, mais nous conseillons vivement à nos utilisateurs d’informer les femmes une fois qu’ils ont obtenu leurs coordonnées ». Cette absence de transparence est-elle licite ? Tout dépend de la loi applicable. En Europe, le futur règlement sur l’IA prévoit notamment une obligation de transparence pour les chatbots. Ces derniers devront indiquer qu’il s’agit d’une IA et non d’une interface avec un véritable être humain – un point qui devrait poser problème à CupidBot. Mais pour l’instant, le service entre seulement dans sa phase de bêta publique – seul un nombre limité de clients peuvent y accéder.
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Une réaction de Tinder à venir ?
Autre problème : comment l’IA va-t-elle sélectionner les profils de femmes ? La société a indiqué qu’elle se baserait sur l’historique de ses clients, mais qu’en est-il réellement ? En 2019, la journaliste Judith Duportail avait déjà montré que Tinder ne proposait que des profils correspondant à votre « note de désirabilité », contrairement au hasard et à la proximité géographique mis en avant par la plateforme. Pour calculer cette note, l’algorithme se base sur le niveau de revenu, d’éducation, « d’intelligence », de beauté, et de succès sur l’application, pour vous connecter avec des profils similaires. Cette couche supplémentaire d’IA ne va-t-elle pas accentuer ce phénomène ?
Enfin, que se passera-t-il si CupidBot ne parvient pas à remplir son objectif de proposer plusieurs rendez-vous par semaine ? En théorie, il pourrait y avoir une suractivité de l’IA déterminée à trouver coûte que coûte un rendez-vous, ce qui pourrait conduire à des risques de cyberharcèlements. Comme tous les autres chatbots, celui de CupidBot pourrait aussi souffrir « d’hallucinations » que devraient supporter les femmes contactées. Et dans tous les cas, Tinder et les autres applications devraient réagir. Car les utilisatrices n’ont certainement pas consenti à ce type de situation…
Source :
Vice