Des plages paradisiaques, des bars à cocktails branchés, des yachts de luxe… Et des sites pornographiques par dizaines. En une décennie, Chypre s’est imposée comme un rouage central de l’industrie du X à l’échelle mondiale, comme le détaillent les documents du projet « Cyprus Confidential », coordonné par le Consortium international des journalistes d’investigation, dont fait partie Le Monde.
Contrairement à la République tchèque ou aux Etats-Unis, Chypre n’abrite pas de studios de tournage. Certains des plus grands groupes mondiaux de « sites pour adultes » en ont pourtant fait leur base en Europe, comme Aylo (ex-MindGeek, qui possède Pornhub, YouPorn et plusieurs studios aux Etats-Unis) ou Wisebits, maison mère de Stripchat et de xHamster, l’un des « tubes » (sites gratuits de vidéos) les plus visités au monde. Les documents de « Cyprus Confidential » montrent que des dizaines d’autres sociétés du secteur y ont ainsi établi leur siège ou des filiales, tout comme des entreprises de marketing ou de publicité qui acceptent de travailler avec des sites X, à l’image de CrakRevenue.
Pour quelle raison ? Dans les allées du salon de marketing Webmaster Access Affiliate Conference, organisé à Limassol (sud de l’île) et qui a rassemblé à la mi-septembre de nombreuses entreprises liées au monde du porno, un élément de réponse faisait l’unanimité : « les impôts ». « Il y a beaucoup de dispositions spéciales qui rendent l’installation très intéressante », notait une employée de Stripchat, un site de « cams » dont le siège est à Limassol mais dont les « modèles » − comprendre les travailleuses du sexe − exercent en indépendantes dans le monde entier. En plus d’un taux d’imposition effectif qui peut descendre à 2,5 % au prix de quelques arrangements, Chypre n’impose quasiment pas les dividendes et les royalties.
Le jeu des succursales
Ces particularités en font une destination idéale pour une industrie dans laquelle les grands groupes font en général transiter l’argent entre plusieurs sociétés. Leur objectif, sous-jacent, est d’obtenir des résultats faibles pour payer le moins d’impôts possible. La maison mère facture donc à ses filiales des redevances de droits d’auteur, dont la nature est faiblement imposée à Chypre, pour les contenus ou l’utilisation de ses plates-formes informatiques. Dans le jargon de l’optimisation fiscale, on appelle cela une « IP box », une « boîte à propriété intellectuelle ».
Les documents que Le Monde et ses partenaires ont pu consulter montrent ainsi comment MG Freesites, une succursale d’Aylo concentrant une grosse partie des revenus du groupe, n’a payé en 2019 que 2 millions d’euros d’impôts, pour un chiffre d’affaires de 248 millions d’euros. Et pour cause, en reversant plus de 220 millions d’euros à d’autres filiales du groupe pour des prestations diverses, dont 84 millions d’euros de droits d’auteur, l’entreprise affiche à terme un résultat modeste. Les documents suggèrent que l’essentiel des profits du groupe transite par Chypre avant de partir vers d’autres filiales, en Irlande ou au Luxembourg.
Il vous reste 70% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.