Dès le début de la guerre, les équipes de la division cloud d’Amazon, AWS, ont envoyé des boîtiers « Snowball » en Ukraine. Ces gros disques durs externes renforcés de 80 To envoyés par camions via la Pologne, ont permis de sortir plus de 10 Po (pétaoctets) de données. Et de tout préserver dans le cloud.
Il y a deux types de boules de neige : celles qui volent dans les batailles rangées hivernales, et celles qui sauvent des infrastructures de pays en guerre. Car il n’y a pas un gramme de neige dans les « Snowball » d’AWS. On parle ici d’une gamme de produits uniques en leur genre, créés par la branche cloud d’Amazon AWS. Les AWS Snowball sont en effet des disques d’un genre étrange, intégrant jusqu’à 80 To de stockage flash, des composants électroniques (parfois même équipés de CPU et GPU). Qui ont, mine de rien, sauvé une partie de la structure numérique de l’état ukrainien dès le début de l’invasion russe. Cette belle « histoire de Noël » a donc un cadre tragique. Et il faut remonter aux premiers jours de l’attaque en février dernier pour voir se mettre en branle une migration d’un drôle de genre : toutes les données d’un pays qui ont rejoint le cloud… grâce à des camions.
L’urgence au tout début de la guerre
La guerre est un terrain ou le timing de la prise de décision est encore plus critique qu’en temps de paix. Selon Business Insider, Liam Maxwell, patron de l’équipe d’AWS en charge des relations avec les gouvernements, a ainsi rencontré dès le 24 février 2022 dernier l’ambassadeur d’Ukraine au Royaume-Uni, Vadym Prystaiko, pour évaluer avec lui comment Amazon pouvait aider l’Ukraine. M. Prystaiko est un personnage important du gouvernement. Par son parcours, d’une part – il est ancien ministre des Affaires étrangères (août 2019-mars 2020), a siégé dans des instances internationales comme l’Organisation maritime internationale ou Organisation de l’aviation civile internationale. Et par sa présence sur le territoire (presque !) européen, qui souffre moins du décalage horaire que son confrère de Washington.
Les deux hommes se sont rapidement coordonnés pour réaliser une mission critique pour la survie de l’état ukrainien libre : la protection des données. Non seulement celles du gouvernement, relatives aux citoyens et aux différents ministères. Mais aussi celles des banques, des entreprises au caractère stratégique et autres institutions éducatives et culturelles.
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Connaissant intimement la nature de la guerre « à la russe », qui fait massivement appel à de l’artillerie non guidée et qui aime à réduire à l’état de champ de ruine – il suffit de regarder Marioupol pour s’en convaincre – les Ukrainiens savent bien que leurs infrastructures sont en danger. Aussi bien les habitations que les centrales nucléaires ou les câbles qui font transiter les données. La question est donc de savoir comment sortir le plus rapidement possible un énorme volume de ces données. Sachant qu’une connexion internet est trop faible en débit et trop incertaine du fait de la guerre. Et c’est là que les « boules de neige » d’Amazon se sont révélées cruciales.
Quand le déplacement physique va plus vite que le numérique
Avant même de penser à sortir les données d’un pays en guerre, le numéro 1 mondial du cloud qu’est AWS (Amazon Web Services) avait déjà dû répondre à un autre défi : celui de la migration des données dans un pays « normal ». Et loin d’être limitée par les blindés ou les obus de mortiers, la migration d’un grand volume de données peut être tout simplement limitée par… la qualité et la vitesse des réseaux. Et si vous connaissez l’état des réseaux aux USA, vous savez qu’AWS a eu un bon terrain d’entraînement – la qualité des infrastructures, qu’elles soient câble, xDSP ou 4G est très en deçà de celle que l’on trouve en Europe… et même dans de nombreux pays moins riches. Face à cela, l’explosion du volume des données crée un gigantesque goulet d’étranglement : avec un accès internet 10 Gbit d’entreprise, il faut 10j sans souci de connexion avec la totalité de la bande passante pour faire migrer un seul pétaoctet ! D’où la création du service Snow.
Avec en fer de lance le Snowmobile, un camion équipé d’un conteneur capable de stocker et donc de déplacer jusqu’à 100 pétaoctets de données. L’engin arrive sur site, se branche au réseau chez le client et absorbe toutes les données (ou les réinjecte, cela fonctionne dans les deux sens). Et soit il reste sur site, soit il repart dans un centre de données AWS pour mettre tout ça dans le nuage. Problème pour les Ukrainiens : les gros camions d’Amazon ne se baladent pas dans les pays qui encaissent des bombardements. Alors AWS a « bombardé » l’Ukraine avec des unités plus petites appelées les Snowball Edge. De (très) gros disques durs externes intégrés dans un châssis de la taille d’une petite glacière intégrant 80 To. Une unité qui stocke beaucoup et qui absorbe très vite les données. Si le nombre de Snowball Edge exact envoyé en Ukraine au début de la guerre n’a pas été communiqué, il suffit de diviser 10 Po par les 80 To de données de chaque Snowball pour obtenir 125 unités. Des boîtes faciles à transporter et distribuer rapidement dans l’urgence.
AWS seul acteur cloud à avoir pied dans le monde physique
Le résultat de cette réponse rapide d’AWS, vous l’avez tous les jours sous les yeux dans les journaux et sur les réseaux sociaux : l’Ukraine résiste. Il y a l’aide étrangère, financière et militaire. Il y a le courage des voisins, notamment les trois états Baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) et la Pologne, qui sacrifient tous énormément de points de PIB pour soutenir leur allié (coucou la France et l’Allemagne !). Il faut noter aussi Starlink, qui a changé la façon d’opérer sur le champ de bataille.
Mais il y a aussi et surtout le fait que l’état ukrainien, aussi imparfait soit-il – de nombreux scandales de corruption entachent les différents gouvernements avant ce conflit –, continue de se conduire comme un état. Et cela a notamment été rendu possible par la duplication des services et bases de données numériques du pays et de ses institutions. Des états civils en passant par les pensions ou les inscriptions scolaires, la migration rapide et dans l’urgence des données des Ukrainiens dès le début de la guerre permet aujourd’hui au pays d’offrir plus de services que le gouvernement russe n’en offre à sa population. Ce qui participe au maintien de la cohésion dans un pays qui vit au rythme des bombardements et des coupures d’électricité.
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Une performance que seul AWS pouvait réaliser. Car ni Microsoft Azure (2e, 21% parts de marché), ni Google Cloud (3e, 11%) n’ont d’offre physique comparable à Amazon (1er, 34%). Une offre physique coûteuse à développer, réalisée entièrement en interne et dont la rentabilité immédiate est certainement moindre que celle de services numériques facilement duplicables. Mais qui permet d’assoir la domination de l’Américain dans le domaine. Et qui, mine de rien, a permis à un pays entier d’éviter une disparition numérique qui aurait été catastrophique.
Source :
Business Insider