Raph Koster, cocréateur d’Ultima Online, pionnier du jeu de rôle en ligne, aime à dire que « l’idéal économique libertarien ne survit pas à la gestion » d’un univers virtuel. Le laissez-faire, se heurte, selon lui, à l’ingéniosité et à la cupidité des joueurs. Et Second Life, l’un de ces univers les plus connus, est peut-être un exemple de cette doctrine.
Lancé en 2003 par l’entreprise Linden Lab, Second Life est une plate-forme dans laquelle les utilisateurs peuvent créer des mondes en 3D (aujourd’hui un peu datés visuellement) et y interagir en toute liberté. Ce n’est pas seulement un lieu où l’on peut visiter le Mont-Saint-Michel en volant ou discuter dans un café cyberpunk en costume d’ours, c’est aussi très vite devenu un eldorado économique. De véritables promoteurs immobiliers y ont fait fortune, vendant ou louant des lopins de terre virtuels. D’autres ont créé des banques : la plus connue d’entre elles s’appelait Ginko Financial, et c’est aujourd’hui un des noms les plus controversés de l’économie du jeu.
Des contours flous
Difficile de retracer précisément l’origine et le fonctionnement réel de Ginko Financial, présentée de 2005 à 2007 comme une banque d’investissement opérant dans Second Life. L’équipe dirigeante actuelle de Linden Lab n’y travaillait pas encore – c’est du moins la raison donnée par l’entreprise pour décliner notre demande d’entretien. Nous n’avons réussi à identifier qu’un seul ex-employé de cette société financière fictive : « Hinoserm », un citoyen américain vivant au Texas, a initialement accepté le principe d’un entretien avec Le Monde, avant de ne plus nous répondre.
En 2004, sur les forums consacrés au jeu, Nicholas Portocarrero (un pseudonyme), futur fondateur de Ginko Financial, sonde les « résidents » de Second Life. « Je souhaite lancer une sorte de banque d’investissement, où les gens pourraient déposer de l’argent qui serait utilisé dans des entreprises rentables, puis recevraient des intérêts ou dividendes », expliquait-il alors. Les premières réponses sont mitigées. « J’ai vu de nombreuses banques dans Second Life, et toutes se sont effondrées », estime un internaute. Sans entamer l’ambition de Portocarrero.
A l’époque, l’écosystème économique de Second Life était encore balbutiant. « En 2004, Linden Lab a annoncé que les gens pouvaient échanger leurs Linden dollars [ou L$, la monnaie gagnée en jeu] contre des dollars américains. C’était révolutionnaire », explique Wagner James Au, qui a travaillé en tant que journaliste pour Linden Lab et publie prochainement un livre sur le métavers. Dans la foulée, plusieurs plates-formes d’échange se lancent et proposent d’acheter et de vendre des Linden dollars.
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