Le cas d’un ingénieur, approché par le Renseignement chinois sous prétexte d’une conférence à donner en Chine, montre une méthode des services secrets chinois jusqu’alors peu connue, qui viserait systématiquement certains profils de la diaspora chinoise aux États-Unis.
C’est un récit du New York Times digne d’un scénario de film d’espionnage. En arrière-plan : la guerre ou la compétition, selon les points de vue, entre la Chine et les États-Unis, qui luttent pour devenir le leader technologique de demain. Les acteurs : un agent de renseignement chinois (« Qu»), un ingénieur de G.E. Aviation d’origine chinoise travaillant aux États-Unis (« Hua »), et le FBI. Tout commence en mars 2017. Hua, la quarantaine, aux États-Unis depuis une vingtaine d’années, reçoit une invitation sur LinkedIn provenant d’un responsable de l’université d’aéronautique et d’astronautique de Nanjing (N.U.A.A.), dans l’est de la Chine – une demande qu’il accepte sans arrière-pensée. Quelques jours plus tard, celui qui travaille sur les moteurs à réaction chez G.E. Aviation reçoit de cette personne un message l’invitant à présenter ses travaux de recherche dans cette université chinoise.
« Je me suis senti honoré d’être invité à faire une telle présentation », explique ce dernier à nos confrères. D’autant que Hua vient d’un milieu plus que modeste. Dans son village, il est le seul à être allé à l’université. Et l’invitation lui permet de faire un aller-retour à moindre frais en Chine, pour rendre visite à sa famille et ses amis. Il accepte donc l’invitation, en expliquant toutefois qu’il ne pourra parler que de ses recherches sur les matériaux composites en général, sans entrer dans les détails de ce qu’il fait chez G.E. Aviation. Avant de partir, il doit normalement demander l’autorisation à son employeur, mais décide de s’en passer par peur de voir son voyage annulé. « Comme G.E. est une entreprise de haute technologie, il est difficile d’obtenir l’autorisation de faire une présentation lors d’une conférence », explique-t-il. C’est à ce moment-là que le piège se renferme sur lui.
Six mois plus tard, l’ingénieur est interrogé par le FBI
Avant de partir, il prépare pour sa conférence une présentation dans laquelle il insère des informations issues de son doctorat et d’autres articles scientifiques. Sur son ordinateur, il télécharge aussi des fichiers de formation de G.E. sur l’utilisation des composites, qui pourraient l’aider à compléter sa présentation pendant le vol, pense-t-il. Une fois en Chine, direction Nanjing où il est accueilli par la personne qui l’a contacté sur LinkedIn dans un hôtel sur le campus de la N.U.A.A. Le lendemain, il rencontre à l’université Qu, un homme qui se présente comme le directeur adjoint de l’Association provinciale du Jiangsu pour le développement international de la science et de la technologie. L’ingénieur donne sa présentation et répond aux questions d’étudiants. Il reçoit près 3 500 dollars – un remboursement de son billet d’avion et ses honoraires pour la conférence. Une fois rentré, il se souvient qu’il n’a pas effacé sa présentation sur l’ordinateur de l’université de Nanjing. Il demande immédiatement à un étudiant de la supprimer, et pense ne plus à ce périple.
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Mais six mois plus tard, l’étau se resserre. Il est interrogé par le FBI et apprend qu’il pourait avoir été contacté par un agent des services secrets chinois. Il va alors accepter de travailler pour le Renseignement américain, et contribuera à faire arrêter Qu, de son vrai nom Xu, à Bruxelles : notamment parce que ce dernier utilisait un iPhone, lié à deux comptes iCloud où les données des téléphones étaient périodiquement sauvegardées. Le FBI aurait alors demandé des mandats de perquisition pour les deux comptes iCloud, ce qui lui aurait permis de découvrir que Xu travaillait au ministère de la sécurité de l’État chinois depuis 2003 – en plus d’une foule d’autres informations.
La première condamnation d’un agent chinois sur le sol américain
Qu sera extradé puis jugé, trois ans plus tard, aux États-Unis. Une Cour américaine l’a récemment reconnu coupable de conspiration et de tentative d’espionnage économique, ainsi que de vol de secrets commerciaux. La sentence, 20 ans de prison, est la toute première condamnation d’un agent des services de renseignement chinois sur le sol américain. Pour Pékin, ces accusations sont « calomnieuses », les accusations portées contre Xu – alias Qu – sont « inventées de toutes pièces ».
Cette histoire illustre la méthode particulière avec laquelle le renseignement chinois tente d’accéder, voire de voler des informations confidentielles et du savoir-faire stratégiques d’entreprises américaines, expliquent nos confrères. Cette technique s’ajoute aux manœuvres jusque-là connues – et listées dans un rapport de 2019 du Congrès – allant du légal au moins légal. On peut y lire, entre autres, l’acquisition d’entreprises propriétaires de propriété intellectuelle clé, l’obligation pour les entreprises américaines de former des coentreprises avec des sociétés chinoises – ce qui les oblige à partager avec elles des secrets commerciaux – en échange d’un accès au marché chinois, ou encore des cyberattaques.
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Une nouvelle méthode d’espionnage économique appliqué à grande échelle
Quelle est donc cette méthode d’espionnage économique qui serait appliquée à grande échelle, selon un agent du FBI ? Le Renseignement chinois chercherait à transformer des personnes appartenant à la diaspora chinoise, et ayant des postes clefs dans les universités et les entreprises américaines… en espions. « Ils ont commencé à lancer des appels aux Américains d’origine chinoise en leur disant qu’il n’y avait pas de conflit entre le fait d’être américain et le fait de partager des informations avec (le renseignement chinois) », explique à nos confrères James Gaylord, agent de contre-espionnage à la retraite du FBI. Leur message envoyé à ces cibles : « Nous ne sommes pas une menace. Nous voulons simplement être compétitifs et rendre le peuple chinois fier. Vous êtes Chinois et vous devez donc vouloir voir la nation chinoise prospérer ».
Le problème est que le fait de partager des informations sensibles peut conduire ces Américains ou résidents américains ayant un lien plus ou moins important avec la Chine à enfreindre les lois américaines. Et à chaque fois, la méthode est la même. On invite ces personnes à donner des cours ou à assister à des conférences. On les loge dans des hôtels de luxe. On les emmène en excursion dans des limousines, « ce qui permet de développer une relation avec eux et d’en profiter plus tard pour obtenir de la propriété intellectuelle », rapporte Gunnar Newquist, ancien agent de contre-espionnage pour le Naval Criminal Investigative Service (service d’enquête criminelle de la marine), à nos confrères. Qu’importe si cela ne fonctionne pas à tous les coups.
Autre moyen de persuasion : on les aide à créer leur propre entreprise en Chine, en utilisant du savoir-faire ou des secrets de fabrication acquis pendant leur emploi aux États-Unis. Selon Timothy Mangan, qui était en charge de l’accusation pendant le procès de Mr. Xu, les preuves présentées vont bien au-delà de la simple démonstration de la culpabilité de cet agent : elles révèlent la nature systématique du vaste espionnage économique de la Chine.
Source :
New York Times