L’entreprise française Nexa, ex-Amesys, a fourni au gouvernement malgache, hors de tout cadre légal, l’accès au puissant logiciel espion Predator, selon de nouvelles informations révélées par Mediapart et le consortium European Investigative Collaborations (EIC), composé d’une quinzaine de médias internationaux.
Le logiciel Predator, développé par la société Cytrox et aujourd’hui distribué par l’alliance Intellexa, un consortium international d’acteurs du marché de la surveillance, est officiellement vendu aux polices et services de renseignement à des fins exclusives de lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Comme son concurrent Pegasus (développé par l’israélien NSO), il a cependant été utilisé de façon détournée par certains de ses clients pour surveiller opposants politiques et journalistes. Il est aujourd’hui au cœur d’un scandale politique en Grèce.
Une démonstration en 2020
L’EIC révèle notamment qu’en novembre 2020, une équipe de Nexa s’est rendue à Madagascar pour effectuer une démonstration des outils de surveillance que l’entreprise et ses partenaires pouvaient commercialiser. Plus étonnant encore : dans le cadre d’enquêtes judiciaires visant Nexa et son ancienne forme Amesys, les gendarmes français ont découvert qu’à la même période le téléphone d’un cadre de la société contenait un rapport de surveillance confidentiel concernant Roland Rasoamaharo, un journaliste malgache très critique du pouvoir, suggérant que la présentation de Nexa avait directement pour objet de démontrer son « usage politique ».
Nexa est également accusé d’avoir fourni du matériel d’interception et de surveillance au pays en mai 2021, avant même que tout contrat ou licence d’exportation soient finalisés, à la suite de pressions de la présidence malgache, qui craignait à l’époque un coup d’Etat. Selon les éléments obtenus par l’EIC, du matériel livré par Nexa à l’ambassade malgache à Paris aurait voyagé dans des valises diplomatiques jusqu’à Antananarivo, afin d’éviter tout contrôle.
Au cours de l’été 2021, les autorités du pays ont arrêté une vingtaine de personnes, dont au moins deux ressortissants français, et affirmé avoir déjoué une tentative d’assassinat visant le président Rajoelina.
Un contrat finalisé par une société britannique
Qu’est-il advenu du contrat ? Selon l’EIC, la vente de Predator est finalement passée par la société britannique Signum Intelligence, détenue par un homme d’affaires allemand. Sur le terrain, des traces techniques suggéraient déjà que Madagascar était effectivement client du logiciel espion développé par la société hongro-macédonienne Cytrox (rachetée par le consortium Intellexa). Un rapport de l’entreprise spécialisée Sekoia publié le 2 octobre révélait ainsi la création de plusieurs noms de domaine reliés à l’infrastructure de Predator et usurpant des sites malgaches.
Les « Predator Files », publiés depuis une semaine par Mediapart et ses partenaires, révèlent comment la société française Nexa, membre fondatrice de l’alliance Intellexa, a servi d’intermédiaire pour la vente de Predator et d’autres technologies de surveillance à des pays autoritaires, parmi lesquels la Libye et l’Egypte, mais aussi le Vietnam, qui en a fait une utilisation intensive. Ce dernier client est, entre autres, accusé d’avoir tenté d’espionner l’ambassadrice allemande aux Etats-Unis, ainsi que la présidente du Parlement européen. L’enquête a également dévoilé le système utilisé par Nexa pour contourner certains contrôles à l’exportation, en s’appuyant sur sa composante Advanced Middle East Systems, sise aux Emirats Arabes Unis.
En France, les enquêtes relatives à Nexa et son ancienne forme Amesys visent de précédentes livraisons de matériel de surveillance à l’Egypte d’Abdel Fattah Al-Sissi et à la Libye de Mouammar Kadhafi, des dossiers dans lesquels des dirigeants et anciens dirigeants ont été mis en examen pour complicité d’actes de torture en juin 2021. Une partie de ces mises en examen ont été annulées par la cour d’appel de Paris en 2022.