Une longue et effrayante enquête du New York Times révèle l’étendue des moyens mis en œuvre par la police chinoise pour tenter de deviner des comportements estimés à risque.
Ou s’arrêtera la surveillance des citoyens chinois ? Dans un passionnant article publié ce week-end, le New York Times lève le voile sur un pan encore méconnu de l’appareil orwellien de contrôle des populations par les autorités de l’Empire du milieu.
Épiés par le biais de leur smartphone, par leurs habitudes d’achats, mais aussi par un vaste réseau de caméras de vidéosurveillance, les Chinois sont à la merci d’une « police des données » qui enregistre tous leurs faits et gestes.
Ces données personnelles, les autorités ont désormais pour ambition de les utiliser à titre « préventif ». Dans un scénario qui n’est pas sans rappeler la nouvelle Rapport Minoritaire de Philip K. Dick, la police chinoise dispose à présent d’outils technologiques capables de prédire un crime, une fraude… mais aussi une manifestation ou tout autre comportement qu’elle jugerait déviant.
Le New York Times a ainsi pu avoir accès à une somme de documents officiels -notamment collectés par le magazine ChinaFile et le site spécialisé IPVM- qui montre l’étendue de ces nouvelles possibilités de flicage prédictif.
« Étouffer les actes illégaux dans l’œuf »
Le quotidien américain évoque plusieurs entreprises dont les solutions sont à l’étude ou d’ores et déjà déployées. La première, Megvii, commercialise de nombreuses solutions pour les « villes intelligentes », pour la plupart basées sur un réseau de caméras de vidéosurveillance. Dans une présentation d’un de ces produits, décrite par le New York Times, on peut notamment lire que le logiciel, baptisé « Recherche intelligente », consiste à « concevoir une base de données multidimensionnelle qui enregistre les visages, images, voitures, affaires et enregistrement d’incidents ».
L’ambition ? « Analyser les gens ordinaires qui semblent innocents afin d’étouffer les actes illégaux dans l’œuf ». Une capture d’écran du logiciel publiée par le journal montre qu’il est en mesure de surveiller des centaines d’individus classés par dangerosité. On y trouve certes des citoyens « impliqués dans le terrorisme », mais aussi des « malades mentaux » et même de simples « pétitionnaires », surveillés de près par le régime, dont le seul tort est d’avoir réclamé au pouvoir central la réparation d’une injustice au niveau local.
De simples citoyens mécontents surveillés de près
Une autre entreprise, Hikvision, est pointée du doigt dans l’enquête. Sa solution, notamment mise en place dans le port de Tianjin, à 150 kilomètres de la capitale, vise justement ces pétitionnaires. Elle consiste à collecter des données sur ces citoyens mécontents et à leur donner une « note » en fonction de la probabilité qu’ils auraient à se rendre à Pékin pour y manifester leur colère. La plate-forme analyse ainsi leur activité sociale, leurs relations familiales, leurs voyages passés, etc. L’idée est, là encore, de les « cueillir » avant qu’ils ne puissent faire quoi que ce soit qui embarrasserait le régime.
Pétitionnaires, mais aussi usagers de drogues, opposants politiques et travailleurs migrants, jeunes sans emploi, porteurs du VIH… La liste des personnes « clés » potentiellement surveillées par le pouvoir est effarante. Et le Times dénombre plusieurs villes où des solutions de surveillance prédictive ont été mises en place. Comme à Nanning, où un logiciel a été mis en place pour savoir « si plusieurs personnes surveillées avaient fait leur check-in à des hôtels proches » ou si « un usager de drogue appelait un nouveau numéro fréquemment ».
Le journal américain évoque enfin le cas précis de M. Zhang Yuqiao, un pétitionnaire qui demande réparation à la suite des tortures subies par sa famille lors de la révolution culturelle. Epié de très près, il a dû ruser pour se rendre a Pékin depuis son village afin de faire entendre sa voix. Il a ainsi coupé son smartphone, acheté plusieurs faux billets de train pour tromper la police, et utilisé du cash afin de passer sous les radars. Désormais, quand il coupe son téléphone, il a le droit à une visite de la police qui craint un nouveau voyage…
Source :
New York Times