D-Wave Quantum, pionnier de l’informatique quantique, a annoncé la disponibilité de son ordinateur quantique de sixième génération, l’Advantage2. Selon la société, l’Advantage2 offre des performances supérieures par rapport à son système précédent. Ce qui permet d’élargir les tâches que la société peut accomplir dans les problèmes d’optimisation.
La machine atteint même l’objectif longtemps recherché de la « suprématie » quantique, selon l’entreprise. Et ce malgré le passé très controversé de ce terme.
« Il s’agit d’un moment historique pour D-Wave et pour l’industrie de l’informatique quantique », a déclaré Alan Baratz, PDG de D-Wave. « Notre technologie permet de réaliser quelque chose qui ne peut pas être fait de manière classique ».
« Nous avons des clients en production qui tirent profit de notre technologie aujourd’hui. Tout ce que nous avons fait, c’est de la rendre facile à utiliser. Nos clients bénéficient d’un temps de fonctionnement élevé, et elle est très réactive à leurs besoins. C’est ce qui nous différencie du reste de l’industrie ».
L’Advantage2 améliore son prédécesseur sur plusieurs plans. En particulier, en établissant un total de 20 connexions entre chacun des 4 400 qubits, contre 15 connexions dans l’Advantage original. L’entreprise est ainsi en mesure de doubler le « temps de cohérence », c’est à dire l’étroite fenêtre dans laquelle les calculs quantiques peuvent être mesurés pour obtenir un résultat avant que l’état quantique ne s’effondre.
« Doubler la cohérence permet d’obtenir des réponses beaucoup plus rapidement », note M. Lanting, de l’ordre de 10 000 fois plus vite qu’auparavant. Une cohérence plus longue conduit à une plus grande précision. Et tout dépend donc du temps nécessaire pour obtenir une réponse de qualité acceptable.
Deux types de machines quantiques
D-Wave se distingue nettement de la plupart des autres projets d’informatique quantique, notamment des machines des concurrents IonQ et Rigetti Computing.
Dans le domaine de l’informatique quantique, il existe deux approches technologiques concurrentes.
IonQ et d’autres utilisent des technologies exotiques telles que les ions piégés pour façonner des représentations de uns et de zéros qui affichent des propriétés de mécanique quantique telles que l’intrication et l’effet tunnel.
L’idée est de créer un ordinateur quantique universel capable de simuler n’importe quel circuit informatique classique, tel qu’un circuit « ET » ou un circuit « OU ». Cela rend ces machines immédiatement applicables à des problèmes tels que la résolution d’équations différentielles.
L’hypothèse est que le quantum permet à ces circuits traditionnels de fonctionner de manière hautement parallèle. Ce qui accélère considérablement le calcul.
D-Wave poursuit l’approche du « recuit quantique »
Mais depuis sa création en 1999, D-Wave a poursuivi une deuxième approche, beaucoup moins à la mode, appelée « recuit quantique ».
L’art métallurgique du recuit, dérivé du verbe « brûler » en vieil allemand, consiste à chauffer une substance, telle que le métal, puis à la laisser refroidir progressivement pour lui donner une nouvelle forme plus résistante.
Un algorithme sur ordinateur simule le processus métallurgique. Il permet aux variables d’un problème de chauffer au sens figuré, en relâchant les contraintes sur les valeurs qu’elles peuvent prendre, de sorte qu’un plus grand nombre de configurations possibles puissent être essayées. Grâce à ces essais et erreurs, les valeurs d’un problème finissent par s’établir dans un état stable, à faible énergie, qui constitue la solution au problème.
Comme une puce informatique traditionnelle, le processeur D-Wave est constitué de diverses couches métalliques disposées en une matrice de noyaux de calcul qui se connectent les uns aux autres par le biais d’un réseau de communication.
La conception est fabriquée pour D-Wave dans le cadre d’un contrat avec SkyWater Technology.
Le processus de recuit ne se prête pas aux opérations universelles
Le processus de recuit ne se prête pas aux opérations universelles. Mais il rend les machines de D-Wave très performantes pour un type de problème spécifique : l’optimisation. L’optimisation implique de multiples variables qui doivent s’aligner sur un état idéal pour résoudre un problème, tel que la planification des ressources ou la gestion de la chaîne d’approvisionnement.
L’Advantage2 élargit le champ des problèmes que la technologie de recuit peut résoudre en jonglant avec davantage de variables, a déclaré M. Baratz.
« Aujourd’hui, nous pouvons résoudre des problèmes qui se situent entre des centaines, des milliers et des dizaines de milliers de variables », a-t-il déclaré. « En fin de compte, nous devrons résoudre des problèmes qui se situent dans la gamme des dizaines de millions de variables » ajoute t-il aussi.
Actuellement, D-Wave s’occupe d’un quart du marché de l’informatique quantique, les problèmes d’optimisation, une capacité unique à la technologie de recuit de l’entreprise. Les deux autres grandes catégories que la machine peut traiter à terme sont l’algèbre linéaire et les problèmes de factorisation, tandis que la quatrième, les équations différentielles, est limitée aux machines de type « gate », développées par IonQ ou encore Rigetti Computing..
« Nous pouvons donc répondre à environ trois quarts du marché total adressable. Dont un quart exclusivement pour nous. Dans 20 ans, la seule partie de l’optimisation pourrait valoir 200 milliards de dollars par an », a-t-il déclaré.
Ouvert au business
La disponibilité d’Advantage2 fait suite à des années de tests sur la version prototype de la machine par certains clients de D-Wave, y compris l’exécution de plus de 20 millions de travaux de clients sur la machine, a déclaré M. Lanting.
Vingt-cinq des 2 000 plus grandes entreprises mondiales, dont MasterCard et le géant japonais des télécommunications NTT-Docomo, utilisent déjà la machine, a déclaré M. Baratz.
Les clients y ont accès par l’intermédiaire du service de cloud computing Leap de D-Wave. Le coût est de 25 000 dollars par trimestre pour deux licences de développeur, avec ce que M. Baratz a déclaré être « un temps pratiquement illimité » sur l’ordinateur. Pour les productions, « nous facturons par application », a-t-il dit, « en fonction des caractéristiques de l’application, de sa complexité », avec des coûts allant de « quelques centaines de milliers de dollars par an à quelques millions de dollars par an ».
Les problèmes d’optimisation sont très pertinents, m’a dit M. Baratz, dans le contexte des problèmes de chaîne d’approvisionnement causés par la réorganisation des tarifs douaniers et du commerce mondial par les États-Unis.
D-Wave
Le quantique, une solution au casse-tête tarifaire imposé par Trump
« Les entreprises traversent une période difficile », a-t-il déclaré. « Les entreprises doivent fonctionner avec une plus grande efficacité afin de maintenir leurs résultats à la lumière de tous ces défis ».
Selon M. Barataz, « beaucoup de ces défis peuvent être relevés en résolvant des problèmes informatiques complexes, qu’il s’agisse d’optimiser la chaîne d’approvisionnement ou d’améliorer l’efficacité opérationnelle de l’entreprise ». La résolution de problèmes d’optimisation complexes est au cœur d’un grand nombre de ces questions. Et c’est ce que nous faisons ».
M. Baratz a indiqué que, pour que le service Leap soit « toujours de la dernière génération », toutes les machines dans le cloud seront mises à niveau au fil du temps vers Advantage2.
D-Wave vend également un système complet pour ceux qui peuvent se permettre le prix de plusieurs millions de dollars. Selon M. Baratz, il est important de faire les deux. « Pour nos clients du gouvernement et de la recherche qui cherchent à explorer de nouveaux types de charges de travail et une intégration plus étroite avec les superordinateurs, ils doivent posséder le système », a-t-il déclaré.
L’entreprise travaille sur la manière de former des modèles d’IA générative, tels que les LLM. « On peut imaginer que les grandes entreprises achètent ces systèmes pour les intégrer à leur infrastructure d’IA », a-t-il déclaré à propos de Google et d’autres géants de la technologie.
Les revendications de suprématie
Advantage2 s’appuie déjà sur des données scientifiques intéressantes. Dans un article publié dans le numéro d’avril de la revue scientifique Science, les chercheurs de D-Wave décrivent l’utilisation d’Advantage2 pour résoudre un problème complexe en physique des matériaux : mesurer un matériau magnétique et extraire ses propriétés lorsqu’il subit ce que l’on appelle une transition de phase.
L’Advantage2, dans une version prototype ne comportant que 1 200 qubits, a été comparé au superordinateur Frontier du ministère américain de l’énergie.
Selon une mesure, il faut moins d’un dollar d’électricité à l’Advantage2 pour calculer la solution du problème, contre ce qui serait « la production annuelle globale [en consommation électrique] des ordinateurs classiques », a déclaré M. Lanting.
« Il s’agit d’outils permettant d’effectuer des calculs qui sont non seulement hors de portée des superordinateurs classiques. Mais qui sont aussi, fondamentalement, beaucoup plus efficaces sur le plan énergétique que n’importe quel autre moyen d’effectuer ces calculs difficiles », a déclaré M. Lanting.
Baratz qualifie l’article de « document de suprématie ». Ce qui pourrait bien sûr être une source de controverse pour certains acteurs du secteur.
L’article lui-même n’utilise pas le terme « suprématie quantique », que le physicien John Preskill a défini en 2012 comme des résultats qui « dépassent largement » ceux des ordinateurs traditionnels.
D-Wave
Calcul supra-classique ou suprématie quantique ?
L’article de Science s’appuie plutôt sur l’expression « Beyond-classical computation » (calcul supra-classique). L’article a été coécrit par de nombreux chercheurs d’institutions du monde entier, a fait remarquer M. Baratz, ce qui signifie que D-Wave n’a pas exercé un contrôle unilatéral sur le langage.
Cependant, pour sa part, Baratz est convaincu qu’il existe réellement une suprématie démontrée par le système qui correspond à la définition de Preskill. « Nous pensons que ce que nous avons démontré dans l’article scientifique est la suprématie quantique telle que John Preskill l’a définie », a déclaré M. Baratz. « L’article a vraiment montré qu’il n’est pas possible d’y parvenir par des moyens classiques.
Pendant la pandémie, certaines personnes ont dit que nous devrions abandonner l’utilisation du terme « suprématie » », a déclaré aussi M. Baratz, faisant référence aux débats qui ont dénigré l’utilisation du terme « suprématie » dans son rapport avec la « suprématie blanche ».
« Nous n’avons jamais adhéré à cette idée, car nous pensons que la suprématie est le terme le mieux défini pour décrire ce que nous avons accompli, et personne d’autre ne l’a fait jusqu’à présent ».
Du quantique pour la blockchain
Un autre domaine de recherche de D-Wave est ce qui serait une « preuve de travail quantique » pour la blockchain, un moyen de réaliser les tâches du Bitcoin et de l’Ether sans utiliser autant d’énergie.
« L’idée serait de produire une blockchain plus économe en énergie qui exploiterait ce calcul de suprématie », a déclaré M. Baratz.
Une blockchain sur le quantique, de par sa nature, serait un marché pour les ventes d’ordinateurs, a déclaré M. Baratz, car les machines effectuant la preuve de travail doivent être distribuées à l’échelle mondiale plutôt que de fonctionner dans un service en nuage.
Et si vous craignez un piratage quantique de la blockchain, la capacité de surmonter le seuil de 50 % de calcul qui maintient l’intégrité de la blockchain, « à l’heure actuelle, il n’y a pas de moyen de court-circuiter cela avec la technologie quantique d’aujourd’hui », a-t-il déclaré, bien que cela puisse changer à l’avenir.
D-Wave déglingue la concurrence
M. Baratz n’est pas impressionné par la récente série d’annonces faites par les géants de la technologie aux poches profondes que sont Google, Amazon et Microsoft. « Aucun de ces trois acteurs ne nous fait concurrence actuellement » dit-il citant les différences technologiques entre les propositions.
Le processeur Google Willow, annoncé en décembre, est assez impressionnant, dit-il. « Ils ont démontré qu’ils réduisaient les erreurs, et que la réduction des erreurs s’améliorait à mesure que le nombre de qubits de type gate augmentait ».
La puce Ocelot d’Amazon, annoncée en février, « est loin d’être aussi performante », a-t-il déclaré.
Quant à la puce Majorana1 de Microsoft, qui a suscité la controverse, « c’est une imposture », dit-il. « Ils n’ont même pas fait la démonstration d’un qubit, et encore moins de huit ».
M. Baratz n’a pas fait de commentaires sur IonQ ou Rigetti, bien qu’il ait déclaré par le passé que l’approche du recuit basée sur les problèmes d’optimisation était bien plus applicable à la demande actuelle du marché que les machines de type « gate » de ces entreprises.
A noter que les trois entreprises ont des revenus relativement faibles à l’heure actuelle.
Une feuille de route pour le quantique
Pour l’avenir, la feuille de route de D-Wave s’articule autour de plusieurs axes. La société travaille sur un Advantage3, qui prendra une nouvelle direction en combinant plusieurs puces plutôt que de s’appuyer sur une seule.
« Jusqu’à présent, il s’agissait d’augmenter le nombre de qubits par puce », explique M. Baratz. « Avec Advantage3, nous interconnecterons les puces, car nous pensons que cela nous permettra d’évoluer beaucoup plus rapidement. Pensez-y, 4 000 ou 5 000 puces à qubits [combinées ensemble], c’est 20 000 qubits du jour au lendemain », a-t-il déclaré, tout en admettant que cela ne fait que placer la barre plus haut pour Lanting. « Trevor a des sueurs froides parce qu’il doit les livrer ».
D’autres ajouts importants incluent des calculs numériques à l’intérieur du circuit de recuit analogique. « Nous sommes maintenant en mesure d’effectuer des calculs numériques à l’intérieur du circuit de recuit analogique », a expliqué M. Baratz, « ce qui devrait nous ouvrir de nouveaux champs d’application ».
