dans les coulisses du futur crash-test automobile

dans les coulisses du futur crash-test automobile


Comme pour un lancement de fusée, le décompte retentit dans les haut-parleurs du hall, traversant les solides vitres de la loge où nous nous trouvons. Le silence est de plus en plus profond. L’éclairage d’ambiance a laissé place à de puissants projecteurs focalisant leurs faisceaux sur le centre de la pièce. Le reste est plongé dans l’obscurité. Un interrogatoire de police semble se préparer.

Alors que le décompte se termine, quatre mannequins attendent patiemment le choc. Cinq, quatre, trois, deux, un… Le suspens est à son comble. Dans les gradins, on retient son souffle. Plus rien ne bouge, tout se fige. La salle est devenue stérile et inhospitalière.

Du fond de l’un des deux couloirs rejoignant l’immense salle du centre de crash-test de Volvo, le roulement d’une voiture électrique vient trahir le silence. Elle est en pleine accélération. Le mystère reste entier : on ne sait rien, mis à que selon ce qu’il est affichée sur le prototype à l’arrêt, le choc devrait intervenir à 55 km/h. Une voiture déboule enfin sur la droite.

Éclairée par les projecteurs et filmée par des caméras surpuissantes, capables d’enregistrer des milliers d’images par seconde, la scène figée vis ses dernières secondes de tranquillité : on attend l’irrémédiable crash. Mais soudain, la voiture en mouvement enclenche un freinage automatique d’urgence. Suffisamment tôt pour stopper net l’EX90 à un mètre de l’autre véhicule. Le silence à nouveau. Rire dans la salle.

La séquence n’est pourtant pas terminée. Dans un autre tunnel, faisant face à la petite loge du public, un autre bolide apparaît. Lui ne s’arrêtera pas. En perpendiculaire au prototype garé, il s’encastrera dans ses deux portières, le faisant reculer de deux mètres. Les vitres se brisent, les carrosseries se déforment et les airbags se déclenchent. Rideau.

Du monde physique au monde virtuel

Nous sommes le 4 juin, et nous venons d’assister au « premier crash-test public impliquant trois voitures électriques dans une seule séquence », nous félicite Åsa Haglund, professeur en microtechnologies, en nanosciences et photonique, responsable du Safety Center de Volvo. Le site, qui fête ses 25 ans cette année, réalise plus de 250 crash-tests par an. Il en est le centre névralgique, car pour chaque sortie d’un nouveau modèle, 130 voitures y sont sacrifiées.

Avec de tels dégâts et un tel dispositif, les crash-tests du constructeur coûtent cher. « Un quart de million d’euros », précisait la responsable du site, aux journalistes en visite ici à Göteborg, près du cœur suédois de Volvo. Grâce à eux, la marque vise l’excellence, elle qui, depuis son invention de la ceinture de sécurité à trois points, cherche à être l’autrice de la prochaine révolution dans la sécurité routière, et ainsi garder sa place de référence dans le domaine.

Le crash-test, lui-même, a aujourd’hui 66 ans. Plus d’un quart de siècle s’est écoulé depuis la première collision orchestrée de bout en bout, par Mercedes, le 10 septembre 1959. Depuis tout ce temps, il ne semble pas avoir bien évolué. Le principe reste le même, et il serait difficile de réinventer la roue. Les moyens ont avant tout grossi.

Chez Volvo, le principal hangar des crash-tests est désormais épaulé par un autre dispositif, sous la forme d’un bras articulé. Un bloc de béton de 850 tonnes est aussi présent pour simuler les collisions avec le mobilier urbain. Plus loin dans l’espace, une imitation d’élan sert aussi à tester les aides à la conduite semi-autonome. À l’extérieur, un espace de crash-test off-road met également à rude épreuve les voitures.

Pourtant, à l’ombre des regards, dans la discrétion la plus totale, le crash-test se métamorphose à une vitesse bien plus impressionnante qu’on ne l’imaginerait. Les indices ne sont pas nombreux. Mis à part la présence de centaines de câbles électroniques dans le coffre des voitures accidentées lors des séquences de crash-tests, rien ne présage un changement drastique.

 

Alors pour que l’on puisse en prendre conscience, Åsa Haglund brise la glace. « Même si cette séquence que vous venez de voir est une première, elle a été répétée plus de 80 000 fois, sur ordinateur », annonçait-elle. Dans un monde virtuel, où l’accidentologie est légion, les scènes du monde réel sont simulées et répétées des milliers de fois. Les jours précédents le crash-test auquel nous assistions, les mêmes carrosseries se déformaient, et les mêmes morceaux de glace venaient se briser en mille morceaux.

Ce monde virtuel est même devenu central dans le développement des constructeurs automobiles. Malgré les coûts impliqués pour réaliser des crash-tests physiques, la simulation a pris les devants. C’est elle qui dicte tout, au point que les essais dans le monde réel n’ont été conservés que pour vérifier que l’inimaginable ne puisse pas se produire. Tout est calculé à l’avance, et malgré la dimension aléatoire d’un accident, aux millions de paramètres, l’ordinateur cherche à tout prédire : le résultat doit être le même qu’escompté.

Volvo Crash Test Futur Securite Routiere
Derrière le crash-test du 4 juin 2025, numéro 7090, plus de 80 000 simulations de la même séquence ont été réalisées virtuellement. © Volvo Cars

Analyser la réalité, autrement

Bien évidemment, les simulations sur ordinateur ne sont pas nouvelles. Ce qui change aujourd’hui, ce sont les échelles : puissance de calcul et quantité de data enregistrée. Il n’y a qu’à ouvrir le coffre des prototypes impliqués lors du crash-test, ce que s’empressait de faire Volvo, à la suite de la démonstration. Les ordinateurs embarqués ont, le temps de quelques dixièmes de secondes, enregistré des quantités astronomiques de données.

Avec une telle quantité de data, Volvo comme d’autres constructeurs automobiles sont devenus de véritables entreprises de la tech, à acheter, à l’instar de géants comme les GAFAM, des processeurs à Nvidia. Les serveurs tournent à plein régime dans les datacenters. La sécurité routière de demain s’appuie sur « 55 ans de données, 50 000 accidents et 80 000 personnes impliquées », expliquait à 01net Anders Bell, le directeur de Volvo en charge de l’ingénierie et de la technologie.

Certains types d’accidents dépendent de la data du monde réel pour être analysés, précisait Anders Bell. « Passé 120 km/h, on s’appuie sur ce qui se passe sur les routes », reconnaissait-il. Un travail rendu possible grâce à une équipe de terrain. Ronja Örtlund, accompagnée d’une dizaine d’autres employés, présentait sa mission au milieu d’un atelier où se trouvaient quelques voitures lourdement accidentées. Avec la coopération de compagnies d’assurance, elle récupérait la data des pires crashs survenus en Suède.

Volvo Accident Research Team
L’équipe en charge de l’analyse des accidents impliquant des Volvo en Suède. Même si le crash-test se modernise et devient virtuel, la réalité du terrain reste un pilier central. © Volvo Cars

« Nous allons vous raconter l’histoire de chaque conducteur impliqué dans ces accidents. Nous n’évoquerons pas leur nom et nous vous demandons de ne pas prendre de photo, pour respecter leur vie privée et le choc derrière ce qu’il ont vécu », annonçait la responsable, avant de lever le voile sur ces épaves. L’une d’entre elle est difficilement reconnaissable. Quelques mois plus tôt, il s’agissait d’une berline, roulant sur autoroute, avant qu’une autre voiture circulant en sens contraire ne lui fasse obstacle.

Recréer le réel, avec l’intelligence artificielle

Les accidents sont nombreux, bien trop souvent tragiques et d’une violence inouïe. Mais ils ne seront jamais suffisants, pour prédire l’inimaginable. Ce sur quoi le troisième volet de l’évolution des crash-tests de Volvo s’est focalisé : au lieu de se cantonner à simuler des situations définies, il est désormais question de multiplier les versions d’une situation donnée, pour recréer toute la complexité de la réalité, avec ses multiples facteurs. « Grâce à l’intelligence artificielle, nous pouvons recréer la réalité », racontait le professeur et vice-président de Zenseact, Erik Coelingh, un partenaire technologique de Volvo.

Volvo Ia Sequences Capteurs Conduite
Pour accélérer dans l’analyse des données, Volvo s’appuie sur l’intelligence artificielle pour générer de nouvelles versions d’une même scène de la vie réelle. © 01net.com

« Et la réalité, ce sont des millions de paramètres aléatoires, des millions de possibilités à chaque seconde donnée », introduisait l’homme. Avec l’aide de l’IA, Volvo s’est lancée dans une nouvelle méthode de confection de simulation, afin de générer de la data, et d’apprendre d’elle. Pour cela, pas besoin d’enregistrer des heures de vidéo de voitures en circulation. « Des séquences de la vie réelle d’une dizaine de secondes » suffisent.

En se basant sur les caméras et sur les données de tous les capteurs du véhicule, à partir de ces courts extraits, « l’IA nous permet de modifier les scénarios, et de les décliner sous des milliers de versions différentes », détaillait Mikael Ljung Aust, aux côtés d’Erik Coelingh. Un moyen d’entraîner aussi les modèles de demain, qui s’intégreront dans les voitures autonomes, et qui éviteront de devoir entraîner les systèmes sur des millions de kilomètres.

Asa Haglund Volvo 2025
Åsa Haglund, responsable du Volvo Safety Center. © 01net.com

Il faudra faire vite, mais sans précipiter les choses, au risque d’agir de façon contre-productive. Derrière les centres de développement des constructeurs, des organismes indépendants, comme EuroNCAP en Europe, ne voient pas toujours d’un très bon oeil la modernité. Alors même que nous visitions le centre de sécurité de Volvo, le constructeur se faisait épingler avec Tesla pour le manque de sécurité dans l’intégration de ses systèmes de conduite semi-autonomes. Porsche, Renault, Toyota ou encore Kia faisait mieux.

« Nous développons nos voitures et nos systèmes pour le monde réel, qui est de plus en plus complexe, qui implique d’autres voitures, et bien plus de scénarios que ceux des crash-tests. Nous avons une très bonne collaboration avec EuroNCAP et nous tenterons d’en savoir plus sur cette récente évaluation », commentait Åsa Haglund, lorsque nous mentionnions ces récents résultats.

Lire aussi La France ne parvient plus à réduire le nombre de morts sur les routes : tout doit changer en 2030

Le défi sera aussi de tenir tête à de jeunes marques tout aussi intéressées par l’argument de la sécurité, pour vendre ses voitures. En Chine, BYD, qui a baptisé son système de conduite autonome « God’s eye », annonçait début juillet que plus d’un million de voitures de ses gammes disposaient du système de conduite. Pour l’écouler le plus rapidement, pas question de faire payer de coût supplémentaire au client. Quant aux dommages en cas d’incident, ce sera aussi aux frais de la marque, et non des assurances.

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.