« Salut à toi, jeune entrepreneur » : les internautes atterrés et hilares découvraient en juin 2020 Jean-Pierre Fanguin, sa syntaxe approximative et ses costumes étriqués. Comme on pouvait s’y attendre, les bolides exhibés au fil des vidéos dans lesquelles il prétend avoir fait fortune grâce au trading et aux cryptomonnaies ne lui appartenaient pas. Entre-temps, Le Parisien et Les Jours ont révélé le système pyramidal de formations bidon de celui qui se décrit comme un « escroc bienveillant ».
Sur Instagram, Jean-Pierre Fanguin a fait des émules : inspirés par le culte du self-made-man et la tendance lourde du développement personnel tout droit débarqués des Etats-Unis, de nombreux comptes glorifient la figure de l’entrepreneur.
Citations creuses et novlangue
@mental_de_millionnaire, @motivationly_impact ou encore @millionnairesacademy… Opaques et formatés, certains de ces comptes cumulent plusieurs centaines de milliers d’abonnés. Au programme, des citations creuses qui prêteraient à sourire si elles n’étaient pas postées au premier degré, et qui ne sont pas sans rappeler aux trentenaires l’époque bénie des Skyblogs : « La peur est une réaction, le courage est une décision », « On me déteste car c’est plus facile que de m’abattre » ou, encore, « Souviens-toi : personne n’a jamais réalisé l’impossible en restant prudent ».
On y trouve aussi des extraits d’interviews de businessmen supposés inspirants, de Marc Simoncini à Steve Jobs en passant par Marco Mouly, « roi de l’arnaque » autoproclamé et multicondamné. Des contenus sans valeur ajoutée repris de profil en profil, les mêmes personnes pilotant parfois plusieurs comptes de concert.
Les abonnés types ? Des hommes plutôt jeunes et souvent précaires, biberonnés aux réseaux sociaux et aux promesses d’argent facile
Leur dénominateur commun ? Une culture du secret largement montée en épingle : en cliquant sur les liens des bios Instagram, on se voit invité à rejoindre une newsletter privée ou un groupe prétendument « ultra-confidentiel » sur la messagerie Telegram. Les profils annoncent la couleur : « Comme moi, passez d’étudiant fauché à rentier en deux ans » ou « Rejoins une communauté de 80 000 ambitieux pour changer de vie ». Omniprésente également, la novlangue empruntée à l’univers du coaching incite à oublier tout ce qui nous a été enseigné afin de « changer de mindset » – d’état d’esprit, en anglais.
Les abonnés types, si l’on en croit les nombreux commentaires qui fleurissent sous ces publications ? Des hommes plutôt jeunes (entre 18 et 35 ans) et souvent précaires, biberonnés aux réseaux sociaux et aux promesses d’argent facile véhiculées par les influenceurs. La plupart d’entre eux revendiquent une volonté farouche de s’extraire de milieux modestes et de « quitter la rat race [“la course de rat”] métro-boulot-dodo ». L’expression « la course de rat » a été popularisée par Robert Kiyosaki, poids lourd du développement personnel à la sauce financière et auteur du best-seller Père riche, père pauvre, bible absolue d’un grand nombre d’aspirants entrepreneurs.
Il vous reste 65.18% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.