Des chercheurs de l’université de Glasgow ont identifié au nord-ouest de l’Angleterre, dans la région de West Cumbria, des formations rocheuses créées à partir de déchets industriels en seulement quelques décennies. Ces roches se sont ainsi formées en moins de 40 ans à partir de scories, résidus issus de la fusion des métaux dans l’industrie sidérurgique.
Un processus environnemental inquiétant
Dans un article publié dans la revue Geology, des scientifiques rapportent la première identification d’une roche issue d’un « cycle rocheux anthropoclastique », une formation géologique accélérée intégrant des matériaux d’origine humaine.
Selon les chercheurs, ce processus pourrait avoir des conséquences environnementales importantes. En se formant dans des sites d’élimination de déchets industriels, ces roches artificielles menacent les écosystèmes et la biodiversité locale.
« Lorsqu’ils sont fraîchement déversés, les déchets sont peu compactés et restent mobiles. Mais nos travaux montrent qu’ils peuvent rapidement se transformer en roche — un matériau beaucoup plus difficile à déplacer ou à traiter. Cela signifie que nous disposons de moins de temps que prévu pour limiter leur impact environnemental », averti Amanda Owen, co-autrice de l’étude.
Héritage de l’industrie lourde
Aux XIXe et XXe siècles, l’industrie lourde a prospéré dans la région de Derwent Howe, à l’ouest de la Cumbria, au Royaume-Uni. Cette activité a laissé derrière elle 27 millions de mètres cubes de scories, des résidus de fusion métallurgique, qui ont fini par former d’imposantes falaises artificielles longeant le littoral.
En analysant 13 sites côtiers, des chercheurs de l’université de Glasgow ont découvert que ces scories riches en calcium, magnésium, fer et manganèse interagissent avec l’air et l’eau de mer sous l’effet de l’érosion. Ce mélange déclenche la formation de ciments naturels — comme la brucite, la calcite ou la goethite.
« Ce qui est remarquable ici, c’est que nous avons découvert un processus par lequel ces matériaux artificiels ont été intégrés au monde naturel au fil des décennies et transformés en pierre », souligne l’un des chercheurs.
La preuve de cette transformation rapide repose sur des objets piégés dans la roche : une pièce à l’effigie du roi George V datée de 1934 et un bouchon de canette d’avant 1989. Ces marqueurs temporels confirment que le phénomène s’est produit en l’espace de quelques décennies. Selon les auteurs de l’étude, un processus similaire serait en cours dans d’autres dépôts de scories côtières à travers le monde.
Un enjeu majeur dans le massif des Calanques
Justement, la question de la transformation rapide des déchets industriels en roches prend un relief particulier en France. Le tribunal administratif de Marseille a récemment ordonné à l’État de dépolluer, d’ici au 30 juin 2028, plusieurs anciens sites industriels situés dans le parc national des Calanques, le long du littoral. Ces terrains, jonchés de scories, présentent des concentrations alarmantes de métaux lourds — plomb, arsenic notamment — qui se dispersent dans l’air ou s’écoulent vers la mer, menaçant la biodiversité et la santé publique.
Site pollué dans le massif des Calanques
Dans ce contexte, il serait crucial d’évaluer si un phénomène géologique similaire à celui observé au Royaume-Uni est déjà à l’œuvre dans les Calanques. Car si les scories commencent à se transformer en roche sous l’effet des éléments cela pourrait compliquer les efforts de dépollution, avec le risque qu’ils s’intègrent durablement à l’écosystème de ce site naturel emblématique.