L’Union européenne serait-elle en passe d’assouplir voire de suspendre le DMA, sa loi phare visant à rééquilibrer le marché numérique sur le Vieux continent, en échange de droits de douane américains moins élevés ? Un média allemand, le Handelsblatt, vient de l’affirmer, venant corroborer un article du Wall Street Journal publié six jours plus tôt.
Pas de DMA, pas de droits de douane américains salés ? Depuis plusieurs mois, le gouvernement américain cherche à faire tomber les lois européennes sur le numérique, des réglementations décrites par Donald Trump comme « un impôt injuste sur la Silicon Valley ». Et les négociations commerciales qui ont lieu entre les États-Unis et l’Union européenne (UE) pourraient permettre à Washington d’y parvenir. Dans moins de deux semaines, si aucun accord n’a été trouvé, les produits européens importés aux États-Unis seront taxés jusqu’à 50 %.
Pour éviter ce scénario, Bruxelles serait sur le point d’assouplir sa législation phare sur le numérique, le DMA (règlement européen sur les marchés numériques), selon le Handelsblatt et le Wall Street Journal. Pour rappel, le DMA a pour objectif de rééquilibrer la concurrence sur le marché européen du numérique, plus que dominé par les géants américains.
Une application plus flexible, des exceptions au DMA…
Jeudi 26 juin, le journal allemand Handelsblatt a ainsi révélé que l’UE lâchait du lest dans son application du DMA, une information apprise « des cercles de négociation de l’UE et de l’industrie tech ». Pour éviter une aggravation du conflit commercial, écrivent-ils, les géants du numérique américains devraient à l’avenir avoir leur mot à dire dans l’application du DMA. Dit autrement, la loi resterait inchangée, mais son application deviendrait plus « flexible ».
Six jours plus tôt, c’était le Wall Street Journal qui écrivait que l’administration Trump et la Commission européenne étaient proches d’un accord sur ce qu’ils appellent un « projet d’accord commercial ». Ses termes ? L’UE accorderait aux entreprises américaines des exceptions au DMA, en échange de droits de douane amoindris. S’agit-il de déclarations destinées à jeter le trouble et à gagner des points dans cette négociation censée s’achever le 9 juillet prochain, ou la suspension du DMA est-elle réellement sur la table ?
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Dans l’attente d’une « position claire et ferme »
Pour l’Eurodéputée Stéphanie Yon-Courtin (Renew), il est temps que Bruxelles tranche la question. « Mais pourquoi la Commission (européenne) ne déclare-t-elle pas publiquement et sans équivoque » que l’UE ne cède à aucune demande en ce qui concerne le DMA ou d’autres législations sur la protection des consommateurs, s’interroge-t-elle sur son compte X. « Une position claire et ferme contribuerait grandement à mettre fin aux rumeurs et à rassurer les citoyens de l’UE sur le fait que l’application de la loi n’est pas négociable ! », ajoute-t-elle.
In that case, why doesn’t the @EU_Commission state it publicly and unequivocally?
A clear and firm stance would go a long way in putting an end to the rumours and reassure EU citizens that enforcement isn’t up for negotiation ! https://t.co/qn5IB7cg2m
— Stéphanie Yon-Courtin (@s_yoncourtin) June 26, 2025
Si, pendant longtemps, Bruxelles a refusé catégoriquement d’inclure dans les négociations commerciales entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis toute remise en cause de ses lois, la donne pourrait avoir changé. Après la publication de l’article du Wall Street Journal, Bruxelles avait en effet jeté un froid en expliquant qu’aucun sujet n’était exclu dans les discussions en cours. Cela signifiait donc que potentiellement, les lois européennes sur le numérique pouvaient réellement faire partie des négociations.
Avec cette déclaration, un tournant semblait donc avoir été acté. Mais quelques jours plus tard, marche arrière. Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a indiqué lors d’une conférence de presse que « la souveraineté de nos processus décisionnels est intouchable ». Même topo chez Teresa Ribera, la commissaire responsable de la Concurrence qui s’exprimait cette fois au micro de Bloomberg. Jeudi 26 juin au matin, la responsable politique a martelé qu’il n’était pas question de sacrifier le DMA pour éviter les tarifs douaniers salés de la Maison-Blanche. Problème : l’article du média allemand Handesblatt, affirmant le contraire, a été publié quelques heures après, jetant à nouveau le doute sur une possible suspension du règlement.
Les start-up européennes, grandes bénéficiaires du DMA, montent au créneau
Face à cette éventualité, les start-up du numérique européennes, grandes bénéficiaires du DMA, sont montées au créneau. Dans un courrier adressé à quatre commissaires européens dont Ursula von der Leyen, la présidente de l’exécutif européen, France Digitale et six autres associations européennes de start-up du numérique se sont insurgées contre toute idée de suspension du DMA pour les géants de la tech américains.
Pour les « représentants de l’écosystème numérique et de start-up “Made in Europe” », une telle mesure de suspension ou de concession, réclamée par l’administration Trump, « remettrait en question le statut du DMA en tant que loi européenne », un texte pourtant déjà entré en vigueur, et « contraignant ». La Commission ne doit « pas permettre que l’application du DMA soit affaiblie ou retardée. Les négociations commerciales ne doivent pas être confondues avec l’application du droit existant », plaident encore les associations des start-up du numérique du Vieux continent.
« Appliquer la loi, c’est défendre notre souveraineté »
Une telle mise en suspension créerait « un précédent d’une grande portée », déplorent-ils. Pour les start-up, le DMA est un texte fondamental qui permet de « garantir des conditions de concurrence équitables, l’accès au marché et donc l’innovation ». Cette loi est un « instrument approprié pour remédier aux déséquilibres structurels des marchés numériques », argumentent-ils. Or, l’UE ne peut pas d’un côté « vouloir promouvoir les champions européens de la technologie » à des fins de souveraineté numérique, et de l’autre « saper les fondements réglementaires essentiels pour des marchés numériques équitables », estiment-ils.
En janvier dernier déjà, plus de 30 organisations, dont European Digital Rights (EDRi), Electronic Frontier, Access Now et Irish Council for Civil Liberties, demandaient à la Commission d’appliquer strictement ses règles à l’encontre des géants du numérique. « Si l’UE veut préserver sa souveraineté, elle ne doit pas interrompre ou affaiblir l’application de ses règles », écrivaient-elles. Un argument aussi repris par la députée européenne Stéphanie Yon-Courtin, sur X, pour qui « appliquer la loi (le DMA, NDLR), c’est défendre notre souveraineté ».
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